L’environnement géostratégique d’Israël est en train de changer

Plusieurs pays de l’environnement proche d’Israël connaissent actuellement des évolutions qui ne manquent pas d’inquiéter les dirigeants de l’Etat hébreu.

Le Liban, pour commencer, vient d’entrer dans une nouvelle période de turbulences, avec la chute du gouvernement de coalition emmené par Saad Hariri, provoquée par la démission de dix ministres membres ou proches du Hezbollah, la milice chiite avec laquelle Israël a eu maille à partir lors de l’été 2006.

Cette manoeuvre est liée à la publication prochaine du rapport d’enquête du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), lequel mettrait en évidence l’implication du Hezbollah dans l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005. En quelque sorte, la milice chiite a pris les devants en se donnant les moyens de prendre le pouvoir à Beyrouth, après s’être assuré du soutien de Walid Joumblatt, « l’émir des druzes », du l’autre parti chiite Amal et du général chrétien Michel Aoun.

Pour Israël, la prise de contrôle du Pays du Cèdre – et donc de son appareil de sécurité – par le Hezbollah constituerait une menace supplémentaire. La milice est en effet soutenue à la fois par deux pays hostiles à l’Etat hébreu : la Syrie, avec laquelle il est en conflit au sujet du plateau du Golan, et l’Iran, dont le président, Mahmoud Ahmadenijad, a promis de le « rayer de la carte ».

Cela étant, depuis 2006, Israël a pris soin de distinguer le Hezbollah par rapport au gouvernement libanais. Aussi, un éventuel nouveau conflit avec la milice chiite ne serait plus asymétrique mais conventionnel.

Par ailleurs, l’onde de choc dans le monde arabe, provoquée par la « révolte du Jasmin » qui a mis à terre le régime de l’ancien président Ben Ali en Tunisie, laisse entrevoir des changements notables au Proche et au Moyen Orient ou du moins, l’on ne sait pas trop encore ce qu’il en ressortira.

Ainsi, la Jordanie, qui connaît la plus grave récession économique de son histoire, est le théâtre de protestations contre le gouvernement depuis plus de deux semaines. Or, il se trouve que c’est l’un des rares pays arabes avec lequel Israël a signé un traité de paix en 1994 et conclu des accords commerciaux deux ans plus tard. Pour calmer les manifestants, le roi Abdallah vient rappeler au poste de Premier ministre, Marouf Bakhit, qui a déjà occupé cette fonction de 2005 à 2007. Mais les mouvements islamistes, dont le Front de l’Action Islamique (FAI), ont critiqué cette décision et promis la poursuite de la contestation.

En Egypte, la situation est plus confuse. Son évolution dépendra en partie de l’armée égyptienne, qui est au coeur du pouvoir tout en jouissant d’une bonne image auprès de la population civile. Aux prises avec une contestation grandissante, le président Hosni Moubarak, lui-même ancien militaire, a fait appel à l’ancien commandant de l’armée de l’Air, Ahmed Chafik, pour prendre les fonctions de Premier ministre et au général Omar Souleiman, le patron des services secrets, pour occuper celles de vice-président. Mais cela n’a pas encore suffit à calmer la colère de la rue.

La stabilité de l’Egypte est indispensable pour Israël, qui craint de voir s’appliquer au Caire un scénario identique à celui de la révolution iranienne, où le régime du Shah avait été renversé par les intégristes islamistes de l’ayatollah Khomeini.

C’est du moins l’inquiétude exprimée par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, le 31 janvier. « Il est exact que l’islam extrémiste n’est pas à l’origine de l’instabilité. Ce n’était certainement pas le cas en Tunisie et je ne pense pas que cela le soit en Egypte » a-t-il déclaré. « Mais il est aussi vrai que dans une situation de chaos, un mouvement islamiste organisé peut prendre le contrôle de l’Etat. C’est arrivé en Iran et ailleurs » a-t-il prévenu.

Aussi, le quotidien Haaretz redoute de voir les Frères Musulmans, inspirateurs du Hamas palestinien et dont sont issus des responsables d’al-Qaïda, dont le numéro deux de cette organisation, Ayman al-Zawahiri, s’emparer du pouvoir, car ils constitueraient le seul parti capable « d’apporter le changement rapide que les masses ont tant attendu ».

Plusieurs paramètres expliquent l’attachement d’Israël au régime d’Hosni Moubarak et à la stabilité égyptienne. Tout d’abord, l’Etat hébreu risque de voir bloquer ses approvisionnements en gaz naturel transitant par l’Egypte, pays avec lequel quatre entreprises israéliennes ont signé, en décembre, des accords portant sur l’achat de 1,4 milliard de mètres cubes, pour un montant estimé entre 5 et 10 milliards de dollars sur 20 ans, afin d’alimenter trois centrales électriques à partir du premier semestre 2011.

Globalement, l’Egypte fournit 40% du gaz naturel consommé par Israël. D’où l’intérêt pour l’Etat hébreu d’exploiter au plus tôt les gisements de gaz prometteurs de Tamar et de Léviathan (450 milliards de m3 estimés), récemment découverts au large de ses côtes mais également revendiqués par l’Egypte, le Liban et la Turquie.

L’autre raison tient aux bons rapports entretenus par Israël et l’Egypte depuis les accords de Camp David de 1979, aux termes desquels l’Etat hébreu avait échangé, avec son voisin, le Sinaï, occupé par Tsahal depuis la guerre des Six jours, contre la paix. Preuve que la situation égyptienne est préoccupante pour les responsables israéliens : ces derniers ont approuvé, le 31 janvier, le déploiement de l’armée égyptienne dans cette péninsule, pourtant démilitarisée.

Depuis, même si ces relatives bonnes relations ont été encouragées par l’aide militaire américaine accordée à l’armée égyptienne, cette « paix froide » a permis à Israël de redéployer ses troupes vers la frontière libanaise pour faire face au Hezbollah pendant que l’Egypte, qui a par ailleurs souvent joué le rôle de médiateur dans la région, a contrôlé jusqu’à présent la frontière qu’elle partage avec la bande de Gaza afin de limiter les trafics d’armes à destination des activistes palestiniens.

A cette situation délicate pour Israël s’ajoute la relation parfois tendue avec l’administration américaine, notamment en raison de la reprise de la colonisation à Jérusalem-Est. Et l’appel à une transition immédiate adressé par le président Obama à Hosni Moubarak a été ressenti comme une trahison par les responsables israéliens. « Les Américains viennent de faire comprendre que leur soutien inconditionnel envers leurs alliés était des plus partiels » a souligné Shaul Mofaz, le président de la commission de la défense et des affaires étrangères à la Knesset. Et le quotidien Yediot Aharonot de s’interroger : « Est-ce que les Etats-Unis pourraient nous abandonner? ».

Quoi qu’il en soit, Israël risque donc de se retrouver de plus en plus isolé, voire menacé, d’autant plus qu’il a perdu un allié précieux dans la région, avec la Turquie, laquelle a pris ses distances depuis l’opération « Plomb durci » ayant visé le Hamas en décembre 2008 et l’affaire de la flotille anti-blocus, dont le navire amiral turc avait été arraisonné au large de Gaza par les commandos marine israéliens.

Et, justement, les perspectives de résolution du conflit israélo-palestinien semblent s’éloigner, d’autant plus que la publication de documents confidentiels concernant les pourparlers de paix entre l’Etat hébreu et l’Autorité palestinienne ont entamé la crédibilité de Mahmoud Abbas, le président de cette dernière, auprès de ses administrés, ce qui ne peut que servir les intérêts du Hamas.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]