Malgré les polémiques, le ministre allemand de la Défense ne remet pas en cause l’achat d’avions F-35A

En mai 2017, la force aérienne allemande [Luftwaffe] demanda au Pentagone des informations « confidentielles » sur le chasseur-bombardier de 5e génération F-35A. Il s’agissait alors d’examiner différentes options pour le remplacement de ses Panavia Tornado, dont certains sont en mesure d’emporter la bombe nucléaire tactique américaine B-61, dans le cadre de la dissuasion de l’Otan.

Cet intérêt de la Luftwaffe pour le F-35A fut confirmé quelques mois plus tard par son chef d’état-major, qui était alors Karl Müllner.

« Pour remplacer leurs Tornado, les forces allemandes ont besoin d’un avion de cinquième génération, difficile à détecter par les radars ennemis et capable de frapper des cibles à grande distance. […] Il s’agit vraiment de se donner une capacité de dissuasion. Parce que si vous avez la capacité d’envoyer un avion dans l’espace aérien d’un autre pays sans qu’il se fasse détecter, alors c’est un moyen de dissuasion incroyable », avait-il affirmé, en novembre 2017.

La piste du F-35A était d’autant plus privilégiée que la Luftwaffe souhaitait disposer d’un chasseur-bombardier de 5e génération dès 2025, c’est-à-dire sans attendre la mise en service du Système de combat aérien du futur [SCAF], qui venait d’être porté sur les fonts baptismaux par la France et l’Allemagne.

Cependant, Airbus Defence & Space, par la voix de son PDG, qui était Dirk Hoke à l’époque, monta au créneau en affirmant qu’un achat potentiel de F-35A par Berlin « pourrait affaiblir l’industrie européenne de la défense et la rendre de plus en plus tributaire de la technologie américaine ». Et donc mettre en péril le SCAF. Un argument partagé par la partie française… et finalement retenu par le gouvernement d’Angela Merkel [ce qui coûta son poste au général Mullner].

La question de la participation de l’Allemagne aux plans nucléaires de l’Otan étant centrale, Berlin fit part de son intention de se procurer 30 F/A-18 Super Hornet et 15 E/A-18G Growler [dédiés à la guerre électronique] auprès de Boeing, en 2020. Et il était alors question de « régler rapidement » ce dossier.

Seulement, Washington décida d’exclure le F/A-18 Super Hornet de la liste des avions devant être certifiés pour emporter la dernière version de la bombe B-61 [la B-61-12]. Ce qui, à première vue, était logique dans la mesure où l’aviation embarquée américaine n’assure plus de missions relatives à la dissuasion nucléaire depuis trente ans.

Alors que le F-35 avait apparemment les faveurs de la nouvelle coalition gouvernementale dirigée par Olaf Scholz, la guerre en Ukraine accéléra les choses… Et, en mars 2022, Berlin fit part de son intention d’acquérir 35 exemplaires du chasseur-bombardier de Lockheed-Martin… Et, partant, de satisfaire les vœux exprimés par la Luftwaffe cinq ans plus tôt. De son côté, Aibus Defence & Space ne perdit pas [trop] au change, avec la commande annoncée de 15 Eurofighter EF-2000 dédiés à la guerre électronique.

La commande des 35 F-35A fut signée en décembre 2022, avec une mise en service prévue en 2028. Cependant, la dépendance à l’égard des États-Unis et, sans doute plus encore, le coût de ce programme [environ 10 milliards d’euros, en tenant compte des infrastructures nécessaires à l’exploitation de cet appareil] donnèrent lieu à des critiques.

« Des problèmes avec le F-35 ? L’Allemagne cherche des problèmes là où les Pays-Bas, la Norvège, la Belgique, l’Italie et d’autres nations européennes n’en voient aucun. Et nous non plus ! L’air y est-il différent [qu’en Allemagne] ? », avait alors réagi le général Ingo Gerhartz, l’actuel chef d’état-major de la Luftwaffe.

Seulement, l’actualité récente [et son traitement] concernant l’attitude des États-Unis à l’égard de l’Ukraine et de la Russie a relancé les critiques contre le F-35A en Allemagne. Ancien président de la Conférence de Munich sur la sécurité, le très influent Wolfgang Ischinger a remis en cause la commande des chasseurs-bombardiers américains.

« Si nous devons craindre le même traitement que les États-Unis font subir à l’Ukraine, ne pourrions-nous pas envisager d’annuler l’accord [sur les F35] », a-t-il dit, via le réseau social X, le 6 mars dernier.

L’actuel PDG d’Airbus Defence & Space, Michael Schöllhorn, n’a pas perdu l’occasion de décocher de nouvelles flèches. « Les Danois, avec leurs avions américains F-35, se rendent compte que ce n’est peut-être pas une si bonne idée, s’ils devaient un jour avoir l’idée de défendre le Groenland. Ils n’arriveraient même pas jusque-là », a-t-il dit, dans les pages du quotidien « Augsburger Allgemeine », le 7 mars.

Et d’insister : « Si on utilise la hausse des dépenses de défense pour continuer à acheter des produits standards aux États-Unis, nous renforçons notre dépendance vis-à-vis des autres pays » et « l’Allemagne, en particulier, doit prendre conscience que l’Europe est menacée et trop faible économiquement et militairement dans cette nouvelle ère de l’histoire ».

Cette semaine, le président du comité d’entreprise d’Airbus Defence & Space, Thomas Pretzl, a appelé Berlin à annuler la commande de F-35A. « Je ne veux pas voir un homme politique allemand se faire humilier dans le Bureau ovale [de la Maison Blanche] pour pouvoir utiliser des avions de combat américains en cas de crise », a-t-il dit, dans un communiqué.

Alors que d’autres commandes d’équipements militaires américains [avions de patrouille maritime P-8A Poseidon, hélicoptère CH-47F Chinook, etc.] ont été confirmées, le doute s’est-il emparé de Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense ?

Le 20 mars, le quotidien Süddeutsche Zeitung a avancé que M. Pistorius convoquerait des « généraux de haut rang » pour tenir une « réunion de crise » pour discuter notamment de la « fiabilité des avions de combat F-35, dont les forces armées allemandes ont l’intention d’acheter au moins 35 exemplaires ».

Sauf que cette information de la Süddeutsche Zeitung a été démentie le lendemain. « Il n’y a pas de réunion de crise prévue, ni aujourd’hui ni à l’avenir. Nous maintenons le projet » d’acquérir des F-35A, a en effet déclaré Mitko Müller, le porte-parole du ministère allemand de la Défense. En outre, tout en admettant de possibles dépendances logistiques et numériques, il a aussi réfuté la rumeur selon laquelle il serait possible de « débrancher les F-35 à distance ». Rumeur qui continue de circuler depuis plusieurs jours… alors qu’elle a été démontée à maintes reprises.

Plus tard, M. Pistorius a confirmé son soutien à l’achat de F-35A, lors d’un entretien accordé à l’agence de presse Dpa.

« Les États-Unis restent un allié crucial pour l’Allemagne, notamment lorsqu’il s’agit d’équiper la Bundeswehr. Cela vaut non seulement pour le F-35, mais aussi pour nos autres projets », a fait valoir le ministre allemand.

« Le projet F-35 démontre en particulier à quel point les industries [américaines et européennes] sont étroitement liées », a poursuivi M. Pistorius. « Il s’agit d’un projet multinational. Des pièces essentielles du F-35 sont fabriquées hors des États-Unis », a-t-il souligné

« Huit nations ont participé au développement, dont cinq européennes : l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni. Quatorze nations de l’Otan et un total de vingt nations exploitent actuellement ou exploiteront le F-35 à l’avenir. La communauté des utilisateurs en bénéficie mutuellement », a continué le ministre allemand.

Le F-35 « est l’avion de combat les plus modernes au monde » et en l’achetant, l’Allemagne « s’assure une participation accrue dans le domaine nucléaire [via l’Otan] », a insisté M. Pistorius. « Cela n’est possible qu’avec des avions de chasse certifiés par le gouvernement américain. Seul le F-35 peut combler rapidement le retard qui surviendra à la fin de la décennie, lorsque les Tornado atteindront leur limite d’âge « , a-t-il conclu.