Malgré le veto américain, la Turquie veut toujours commander 40 chasseurs-bombardiers F-35A

La première administration Trump avait prévenu : si la Turquie s’obstinait à vouloir mettre en service les systèmes de défense aérienne S-400 qu’elle venait de commander à la Russie, alors elle serait exclue du programme d’avion de combat F-35, malgré son statut de partenaire industriel de niveau 3, sa commande de 100 exemplaires et son appartenance à l’Otan.

« Nous avons été très clairs, en privé comme en public : une décision sur les S-400 changera les relations américano-turques de manière quasiment irrémédiable », avait déclaré Wess Mitchell, chargé des relations avec l’Europe et l’Otan au département d’État américain, lors d’une audition parlementaire, en juillet 2018. Et cela alors que les premiers F-35A livrés par Lockheed-Martin à la force aérienne turque devaient être transférés à la base aérienne aérienne de Luke [Arizona] pour la formation de ses pilotes.

Pour autant, la Turquie ignora cet avertissement tout en reprochant aux États-Unis de l’avoir laissée sans solution pour moderniser ses capacités de défense aérienne. Résultat : en décembre 2019, Washington invoqua la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], laquelle prévoit des sanctions pour les pays ayant signé des contrats avec l’industrie russe de l’armement, pour éjecter Ankara du programme F-35A.

Après l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche, en novembre 2020, la Turquie revint à la charge au sujet des F-35A, en espérant que la nouvelle administration serait plus conciliante. D’autant plus que ses relations avec celle de M. Trump furent compliquées [menaces de « détruire » l’économie turque lors de l’affaire du pasteur Brunson et des offensives lancées par Ankara en Syrie, rapprochement avec la Grèce et Chypre, etc.].

« Les F-35 n’ont pas été livrés bien que nous ayons versé une somme conséquente. C’est une erreur grave de la part des États-Unis en tant que pays allié. J’espère qu’avec l’investiture de M. Biden, nous pourrons avoir des pourparlers et arriver à des résultats positifs », avait ainsi déclaré Recep Tayyip Erdoğan, le président turc, le 15 janvier 2021.

Puis, Ankara mandata le cabinet de lobbying Arnold & Porter Kaye Scholer, proche du Parti démocrate et très en vue à Washington, pour tenter de faire fléchir l’administration Biden sur le dossier des F-35. Mais cette initiative n’eut pas le succès escompté, d’autant plus que le dernier mot devait revenir au Congrès.

La seule avancée aura sans doute été la déclaration faite par Victoria Nuland, alors numéro deux par intérim de la diplomatie américaine, en janvier. « Si le problème des S-400 est résolu, les sanctions CAATSA seront levées et nous discuterons du retour de la Turquie au sein du programme F-35. Franchement, si nous pouvons résoudre ce problème du S-400, ce que nous souhaitons, les États-Unis seront heureux d’accepter le retour de la Turquie dans la famille F-35 », avait-elle déclaré à CNN Türk.

Finalement, suggérant qu’elle avait renoncé à ses F-35A, la Turquie fit connaître son intention de se procurer 40 F-16 Viper ainsi que des kits pour porter 79 de ses F-16 déjà en service à ce standard. Dans le même temps, elle réaffirma sa volonté de développer un avion de combat de 5e génération, à savoir le Kaan.

Mais, encore une fois, cet achat se heurta à une certaine hostilité du Congrès. De même que celui de 40 Typhoon / EF-2000 auprès du consortium Eurofighter, l’Allemagne ayant mis son veto. Quoi qu’il en soit, en janvier dernier, ayant fini par accepter l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan, la Turquie obtint gain de cause et fut autorisée à se procurer les F-16 Viper qu’elle souhaitait commander pour 23 milliards de dollars [munitions comprises].

Depuis, le ministère turc a changé ses plans. L’Allemagne n’étant plus opposée à lui vendre des Typhoon / EF-2000, il a récemment indiqué qu’il se contenterait de 40 F-16V, les F-16 d’ancienne génération qu’il comptait porter à ce standard devant finalement faire l’objet d’une modernisation par l’industrie locale, dans le cadre du programme ÖZGÜR.

Cela étant, alors que rien ne dit que la seconde administration Trump sera moins intransigeante à son égard, la Turquie est revenue à la charge au sujet du programme F-35, par la voix de Yaşar Güler, son ministre de la Défense.

« Nous avons six avions F-35 là-bas [aux États-Unis, ndlr]. Quand les Américains ont vu que nous pouvions produire l’avion Kaan et qu’il volait, ils ont un peu changé d’avis sur le F-35. Ils disent aussi qu’ils peuvent [nous] fournir le F-35. Nous insistons également pour que notre part de production nous soit restituée, et nous avons exprimé notre désir d’acheter 40 F-35 », a en effet déclaré M. Güler, lors d’une séance à la Grande Assemblée nationale turque, le 26 novembre.

Reste que le sujet des S-400 acquis auprès de la Russie n’a toujours pas été réglé… Ils « sont prêts à être déployés et opérationnels en 12 heures en cas de besoin » et « nous ne les utiliserons qu’an cas de danger très élevé », a expliqué le ministre turc.

Par ailleurs, et ce n’est sans doute pas la meilleure façon qui soit pour amadouer Washington, M. Güler a critiqué la présence militaire américaine à Alexandroupoli, un port qui, situé en Grèce, est devenu un nœud logistique stratégique pour l’Otan.

« Le déploiement d’éléments militaires par les États-Unis à Dedeağaç [nom turc d’Alexandroupoli] affecte les équilibres stratégiques dans la région et concerne directement la politique de sécurité de la Turquie. Nous suivons ces développements de près et prenons les mesures diplomatiques et militaires nécessaires pour protéger nos intérêts », a-t-il en effet déclaré.