L’Ukraine accuse la Russie d’avoir utilisé un missile balistique intercontinental pour la première fois

Le 19 novembre, soit au 1000e jour de l’invasion de son territoire par la Russie, et alors que les États-Unis venaient [officieusement] de l’autoriser à frapper le territoire russe avec les armes à longue portée qu’ils lui avaient fournies, l’Ukraine a visé le 67ème arsenal de la Direction principale des missiles et de l’ artillerie [GRAU] de Karatchev, dans la région russe de Briansk, avec des missiles balistiques tactiques américains MGM-140 ATACMS [Army TACtical Missile System].

Le même jour, et comme il l’avait annoncé en septembre, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, a signé un décret élargissant les conditions susceptibles de justifier l’emploi de l’arme nucléaire. Ainsi, une « agression contre la Russie par tout État non nucléaire [comme l’Ukraine], mais avec la participation ou le soutien d’un État nucléaire, pourrait être considéré comme une attaque conjointe contre la Russie », précise désormais la doctrine russe.

Cela étant, l’invasion de l’Ukraine ayant été lancée sous « parapluie nucléaire », la Russie a régulièrement agité la menace de recourir à ses forces stratégiques, notamment afin de dissuader les Occidentaux d’aider militairement Kiev.

En janvier 2023, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, avait estimé, à ce propos, que Moscou était en train de « dévoyer » sa dissuasion pour « conduire une agression sous protection nucléaire ». Et d’ajouter : « Notre liberté d’action est impactée par la menace nucléaire de l’agresseur. C’est une déclinaison de la logique des engagements imposés » et c’est aussi une transformation profonde du cadre de la stabilité stratégique, de la non-prolifération et du désarmement ».

Quoi qu’il en soit, la signature de cet « oukase » par M. Poutine n’a nullement dissuadé les forces ukrainiennes de tirer une salve de missiles de croisière à longue portée Storm Shadow [fournis par le Royaume-Uni, ndlr] contre des cibles militaires situées dans la région russe de Koursk. Sans aller jusqu’à confirmer un feu vert donné à Kiev pour frapper le territoire russe avec des armes britanniques, le locataire du 10 Downing Street, Keir Starmer a dénoncé la « rhétorique irresponsable qui vient de Russie ». Mais cela « ne va pas nous dissuader de soutenir l’Ukraine », a-t-il ajouté.

Après avoir utilisé le territoire biélorusse pour attaquer l’Ukraine, reçu des munitions et des armes en provenance de l’Iran et de la Corée du Nord puis fait appel à au moins 10 000 soldats nord-coréens pour, a priori, lancer une contre-offensive dans la région de Koursk, la Russie aurait de nouveau un comportement « escalatoire » en tirant un missile balistique intercontinental RS-26 Rubezh [ou SS-X-31] contre plusieurs cibles dans la région de Dnipro [Ukraine], dont l’entreprise aérospatiale Pivdenmach. C’est en effet l’accusation portée par Kiev, ce 21 novembre.

D’une portée théorique de 5 800 km, le RS-26 est un missile « mirvé », c’est-à-dire qu’il peut emporter plusieurs charges militaires [nucléaires ou conventionnelles], lesquelles suivent chacune une trajectoire indépendante une fois qu’elles ont été libérées. D’ailleurs, c’est ce que l’on voit très clairement sur les images de l’attaque menée à Dnipro.

New video shows Russian ICBM strike against Dnipro this morning.

It’s the first time in human history that an ICBM has been used in a war.

Incredible footage pic.twitter.com/2xRLjqxGnj

— Visegrád 24 (@visegrad24) November 21, 2024

BREAKING:

New footage shows the Russian ICBM and its multiple Reentry Vehicles missile striking Dnipro this morning.

It was the first time in history that type of missile was used in a war. pic.twitter.com/Zr4r0OqeO7

— Visegrád 24 (@visegrad24) November 21, 2024

La date du 21 novembre 2024 pourrait rester dans l’histoire : si les accusations ukrainiennes sont confirmées, ce serait en effet la première fois dans l’histoire qu’un ICBM aura été utilisé dans une guerre.

« Toutes ses caractéristiques : vitesse, altitude sont celles d’un missile balistique intercontinental. L’expertise est en cours », a commenté Volodymyr Zelenski, le président ukrainien. « Aujourd’hui, notre voisin fou a une fois de plus montré qui il est vraiment et à quel point il méprise la dignité, la liberté et la vie humaine en général. Et à quel point il a peur », a-t-il ajouté. « Il est évident que Poutine utilise l’Ukraine comme terrain d’essai […]. Il a tellement peur qu’il utilise déjà de nouveaux missiles », a-t-il conclu.

Selon un article publié par Foreign Policy en 2014, le RS-26 tient peu ou prou le rôle qu’avait le SS-20 dans les années 1970 / 1980 dans la mesure où il a été conçu pour faire peser une menace « stratégique » sur la capitales européennes ainsi que pour dissuader les forces de l’Otan d’intervenir sur le flanc oriental de l’Alliance. D’où, d’ailleurs, le débat sur sa classification parmi les ICBM.

Cependant, utiliser un tel missile pour une frappe conventionnelle n’a pas beaucoup de sens sur le plan militaire au regard de son manque de précision et de son coût élevé. Mais l’objectif du Kremlin était probablement de faire passer un message.

Reste que la menace nucléaire de Moscou est sans doute plus faible qu’auparavant étant donné que ses troupes progressent dans le Donbass et que l’Ukraine est en difficulté.

« À ce stade de la guerre, le risque d’un recours à l’arme nucléaire par la Russie est plus faible qu’auparavant. L’évolution politique et l’évolution du champ de bataille sont en sa faveur. Elle n’a donc pas grand intérêt à porter le conflit au niveau nucléaire », a ainsi confié Alexander Bollfrass, responsable de la stratégie, de la technologie et du contrôle des armements au sein de l’International Institute for Strategic Studies, un groupe de réflexion britannique, à NBC News.