Libye / Embargo sur les armes : Ankara a encore refusé le contrôle d’un de ses cargos par la force européenne Irini

Comme l’a encore récemment rappelé l’ONU, la Libye se trouve dans une situation politique inextricable qui, susceptible de se détériorer à tout moment, profite aux organisations extrémistes et à la criminalité organisée, tant locale que transnationale.

Pour rappel, le pays compte deux exécutifs qui ne sont pas plus légitimes l’un que l’autre étant donné qu’aucune élection n’a pu être organisée depuis dix ans. Issu d’un « Haut Conseil d’État » et dirigé par Abdel Hamid Dbeibah, le gouvernement d’unité nationale [GNU], installé à Tripoli et jusqu’à présent reconnu par la Communauté internationale, bénéficie du soutien de milices armés et de l’appui militaire de la Turquie.

Et pour cause : en novembre 2019, Ankara scella un accord avec ce GNA afin de redéfinir ses frontières maritimes, en faisant fi de l’Égypte et de la République de Chypre, l’objectif étant d’asseoir ses revendications territoriales en vue d’exploiter le gaz naturel que recèlent les eaux de ces deux pays.

Puis, émanation de la Chambre des représentants élue en 2014, le gouvernement de stabilité nationale, installé à Benghazi, exerce son contrôle sur la Cyrénaïque [est] et le Fezzan [sud] grâce à l’appui de l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, elle-même soutenue par plusieurs puissances étrangères, dont la Russie.

En 2020, l’ANL tenta de s’emparer de Tripoli par la force… mais elle fut mise en échec par les milices du GNU… et une intervention militaire turque. Depuis, les deux camps se regardent en chiens de faïence. Mais pour combien de temps encore ?

Le 20 août, Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général de l’ONU et responsable de la Mission d’appui des Nations unies en Libye [MANUL], Stéphane Koury s’est récemment inquiétée d’une « détérioration rapide » de la situation au cours des deux derniers mois.

Ainsi, le 23 juillet, les « forces affiliées au GNU se sont déplacées vers l’ouest, déclenchant une mobilisation de l’ANL et des groupes armés contrôlant cette zone », a-t-elle relevé, devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Puis, a-t-elle poursuivi, le 9 août, les troupes du maréchal Haftar ont fait une incursion dans le sud-ouest de la Libye, ce qui « a incité les forces et groupes basés dans cette région à se mobiliser et à affirmer leur volonté de répondre à toute attaque ».

Dans le même temps, les deux camps cherchent à contourner l’embargo sur les armes imposé par l’ONU à la Libye depuis 2011. Toujours selon Mme Koury, il y a des raisons de penser qu’il a été de nouveau « violé » durant la période qu’elle a évoquée.

Justement, pour faire respecter cet embargo, l’Union européenne [UE] a lancé l’opération navale Irini en avril 2020, sur la base de la résolution 2292 qui, placée sous chapitre VII, avait été adoptée par le Conseil de sécurité en 2016. En juin dernier, elle comptait trois navires, fournis par l’Italie [ITS Thaon di Revel], la Grèce [HS Kanaris] et la Roumanie [ROS Regina Maria]. Probablement est-ce encore le cas puisqu’elle n’a depuis pas signalé de changement. En outre, elle bénéficie également de moyens aériens, la Marine nationale engageant régulièrement, à son profit, un avion de surveillance maritime Falcon 50.

Seulement, même si elle a contacté plus d’un millier de navires et reçu 500 autorisations pour les inspecter, la tâche de l’opération Irini n’est pas toujours simple, dans la mesure où certains d’entre eux – et ce sont d’ailleurs souvent les mêmes – font quelques difficultés. Cela est encore arrivé le 8 septembre.

En effet, via X, l’état-major d’Irini a déploré que la Turquie avait, une nouvelle fois, rejeté la demande qui lui avait été adressée pour inspecter la cargaison du cargo MV Matilde A, qui devait alors se rendre à Misrata [il y est arrivé le 11 septembre, ndlr]. Et cela, malgré la résolution 2292. Dans son message, il a ainsi rappelé que tous les membres de l’ONU doivent « coopérer aux inspections ».

Cela étant, l’attitude de la Turquie n’est pas nouvelle. La compagnie propriétaire du MV Matilde A, Arkas, a refusé six demandes d’inspection de ses navires en 2021, trois en 2022, deux en 2023 et donc une en 2024. De quoi alimenter les soupçons sur la nature de leurs cargaisons… D’autant plus que le GNA et Ankara ont signé un nouvel accord militaire il y a deux ans, avec à la clé la promesse de nouvelles livraisons de drones.

Yesterday, #Turkiye 🇹🇷 once again denied a flag state consent request from #IRINI🇪🇺 to inspect MV MATILDE A in accordance with #UNSCR 2292/2016 on the #ArmsEmbargo on #Libya 🇱🇾. @UN Security Council calls upon all UN🇺🇳 members to cooperate with inspections.@eu_eeas @EUCouncil

— Operation EUNAVFOR MED IRINI (@EUNAVFOR_MED) September 9, 2024

D’ailleurs, selon l’imagerie satellitaire, il a été confirmé que le GNA avait reçu au moins un système de drones MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] Akinci, produit par le groupe Bayraktar. Au moins un appareil de ce type a été repéré sur l’aéroport de Misrata.

Reste que les violations de l’embargo sur les armes ne sont pas l’apanage du GNA et de la Turquie. En juillet, la douane italienne a ainsi saisi deux drones de facture chinoise devant être livrés à Benghazi, donc très probablement à l’ANL du maréchal Haftar. Ces appareils avaient été découverts dans des conteneurs censés renfermer des pâles d’éoliennes, à bord de deux cargos en escale au port de Gioia Tauro [Calabre].

Photo : EUNAVFOR IRINI