La frégate allemande Baden-Württemberg va-t-elle naviguer dans le détroit de Taïwan, quitte à froisser Pékin ?

Lors d’une récente visite officielle en Corée du Sud, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, avait souligné que la sécurité européenne « était étroitement liée » à celle de la région Indopacifique et qu’il fallait par conséquent « faire preuve d’unité » et de « fermeté » face à ceux qui seraient susceptibles de « porter atteinte à la paix et à la stabilité » ainsi qu’à « notre ordre commun ». Et d’insister : Ce n’est pas seulement la loi du plus fort qui compte, mais la force de la loi ».

Cela étant, cette détermination allemande pourrait être mise à l’épreuve d’ici peu, quand, dans le cadre de leur déploiement dans la zone Indopacifique, la frégate de type 125 « Baden-Württemberg » et le navire-ravitailleur « Frankfurt am Main » croiseront non loin du détroit de Taïwan, que la Chine considère comme lui appartenant car il constituerait un continuum entre ses eaux territoriales, sa zone contiguë et sa zone économique exclusive [ZEE].

En 2021, à l’occasion de la première mission de la Deutsche Marine dans la région Indopacifique depuis le début des années 2000, la frégate Bayern s’était gardée de s’aventurer dans le détroit de Taïwan. À l’époque, Berlin venait de publier ses « lignes directrices » pour cette partie du monde.

Celles-ci prônaient le dialogue afin de résoudre les conflits territoriaux, notamment en mer de Chine méridionale et de nouer de nouvelles relations commerciales avec les pays partageant une « même compréhension de la démocratie ». Pour résumer, l’Allemagne se voulait ferme sur les grands principes tout en ménageant la Chine pour des raisons économiques.

Depuis, bien que l’Otan ait réaffirmé qu’elle posait un défi « systémique » à la sécurité euro-atlantique, la Chine a affermi ses liens économiques avec l’Allemagne. En effet, selon le ministère chinois du Commerce, les investissements directs étrangers [IDE] allemands ont progressé de 24,2 % entre janvier et mai par rapport à l’année précédente. Mieux : le quotidien Le Figaro a récemment cité des chiffres de la Bundesbank selon lesquels le montant total de ces IDE pourrait être plus élevé durant le premier semestre 2024 que sur l’ensemble de l’année 2023. Année au cours de laquelle ils avaient déjà atteint la somme inédite de 11,9 milliards d’euros.

Dans le même temps, l’Allemagne tente d’apaiser les tensions commerciales entre l’Union européenne [UE] et la Chine, la querelle portant sur les droits de douanes, en particulier sur ceux relatifs aux véhicules électriques. D’où la visite à Pékin de Robert Haback, le ministre allemand de l’Économie, en juin dernier.

« La Chine est un marché de vente et d’approvisionnement très important pour les entreprises allemandes. L’année dernière, le volume des échanges bilatéraux s’est élevé à 254 milliards d’euros, soit un douzième du total des échanges de marchandises de l’Allemagne », avait alors expliqué un porte-parole du ministère allemand de l’Économie.

Pour autant, ces bonnes affaires avec la Chine n’empêchent pas l’Allemagne de cultiver de bonnes relations avec Taïwan, considérée à Pékin comme une île « rebelle ». L’an passé, l’un des principaux producteurs mondiaux de semi-conducteurs, le taïwanais TSMC, a ainsi annoncé un investissement de plus de 10 milliards d’euros pour implanter une nouvelle usine – sa première en Europe – dans la région de Dresde.

Dernièrement, la chambre basse du Parlement allemand [Bundestag] a adopté une résolution appelant à « s’opposer aux changements unilatéraux du statu quo dans le détroit de Taiwan ». Et de souligner que « les changements ne peuvent avoir lieu que de manière pacifique et d’un commun accord ».

Dans ces conditions, que feront la frégate « Baden-Württemberg » et le navire-ravitailleur « Frankfurt am Main », quand il s’agira de traverser la mer de Chine méridionale, après avoir participé à l’exercice RIMPAC 2024 et rendu visite au Japon et à la Corée du Sud ? L’amiral Axel Schulz, qui commande la flottille allemande, l’ignore encore. C’est en effet ce qu’il a répondu à l’agence Reuters, ce 19 août.

« Nous sommes ici pour montrer notre pavillon et que nous soutenons nos partenaires et amis. Il s’agit aussi de témoigner de notre engagement en faveur d’un ordre fondé sur les règles, de la résolution pacifique des conflits territoriaux et de voies de navigations ouvertes et sûres », a-t-il expliqué. Seulement, la décision de traverser le détroit de Taïwan « n’a pas encore été prise », a-t-il dit.

« La Chine s’est toujours opposée à toute atteinte à sa souveraineté territoriale et à sa sécurité sous couvert de liberté de navigation », a d’ores et déjà prévenu Mao Ning, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. « Taïwan est une affaire intérieure chinoise et la clé de la stabilité est de s’opposer à l’indépendance de Taïwan », a-t-il aussi fait valoir.

En attendant de recevoir ses ordres, l’amiral Schulz a expliqué à Reuters qu’il ne prévoyait pas de prendre des mesures de sécurité particulière dans le cas où le feu vert lui serait donné pour naviguer dans le détroit de Taïwan. Il s’agira d’un « passage normal », « inoffensif », similaire « à la traversée de la Manche ou de la mer du Nord », a-t-il dit. Et d’ajouter que cette traversée, si elle doit avoir lieu, sera « étroitement surveillée » par la marine chinoise.

Peut-être qu’un récent évènement incitera Berlin à faire transiter la frégate « Baden-Württemberg » et le navire-ravitailleur « Frankfurt am Main » dans le détroit de Taïwan… En effet, le 31 juillet dernier, il a été rapporté que l’Agence fédérale de cartographie et de géodésie [BKG] avait été visée par une cyberattaque attribuée à des « acteurs étatiques chinois ».

Or, cet organisme assure une « mission importante pour diverses organisations gouvernementales et du secteur privé, y compris dans le domaine des infrastructures critiques », a souligné le ministère allemand de l’Intérieur. Cette affaire a été considérée comme étant suffisamment grave pour convoquer l’ambassadeur de Chine en Allemagne afin d’obtenir des « éclaircissements ». Une première depuis la répression des manifestations étudiantes de la place Tiananmen, en 1989.