Le flou entoure l’éventuel envoi d’instructeurs militaires français en Ukraine

Si la question de la levée des restrictions d’emploi relatives aux armes occidentales fournies à Kiev divise les pays membres de l’Otan, il en va de même pour l’envoi de « troupes au sol » en Ukraine, ce débat ayant été ouvert en février par le président Macron. « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », avait-il en effet déclaré.

Puis, assumant le fait d’entretenir une « ambigüité stratégique », le locataire de l’Élysée récidiva à plusieurs reprises, comme le 2 mai dernier, dans les pages de l’hebdomadaire The Economist. « Si les Russes devaient aller percer les lignes de front, s’il y avait une demande ukrainienne – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – on devrait légitimement se poser la question », fit-il valoir.

Seulement, cette position n’est pas partagée par tous les pays membres de l’Otan, même si certains, comme les Pays-Bas, l’Estonie ou encore la République tchèque semblent plus ouverts à l’éventualité évoquée par M. Macron.

Mieux : le 13 mai, Madis Roll, le conseiller à la sécurité nationale du président estonien, Alar Karis, a confié à Breaking Defense que Tallinn envisageait « sérieusement » de déployer des troupes dans l’ouest de l’Ukraine, afin de suppléer les forces ukrainiennes pour certaines missions liées au soutien et à la formation.

Deux semaines plus tard, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a avancé que la Lituanie, la Lettonie et la Pologne seraient aussi prêtes à envoyer des troupes en Ukraine si l’armée russe obtenait des succès significatifs sur le champ de bataille.

Ce que le ministère polonais de la Défense a rapidement démenti. « Nous n’envisageons pas l’idée d’envoyer des soldats polonais en Ukraine, de tels projets n’existent pas. Nous appelons à une prudence particulière quant à la crédibilité des informations parues dans les médias », a-t-il répondu, selon le quotidien Wirtualna Polska.

C’est dans ce contexte que, le 27 mai, via la messagerie Telegram, le général Oleksandr Syrskyi, le chef d’état-major des forces armées ukrainiennes, a annoncé l’arrivée prochaine en Ukraine d’instructeurs militaires français. « Je salue l’initiative de la France d’envoyer des instructeurs en Ukraine pour former les militaires ukrainiens. J’ai déjà signé les documents qui permettront […] de visiter nos centres de formation et de se familiariser avec leurs infrastructures et leur personnel », a-t-il affirmé.

Cette déclaration a été faire cinq jours après un déplacement du général Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], en Ukraine… et quelques heures à peine après un entretien téléphonique entre Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, et Roustem Oumerov, son homologue ukrainien.

« J’ai souligné l’importance d’une livraison rapide d’armes et d’une formation des militaires ukrainiens par des instructeurs français. Nous remercions nos partenaires français pour leur soutien », a indiqué M. Oumerov.

Quant aux ministère des Armées, il a commenté la déclaration du général Syrskyi en rappelant que « la formation sur le sol ukrainien fait partie des chantiers discutés depuis la conférence sur le soutien à l’Ukraine réunie par le président de la République le 26 février dernier. Cette piste continue de faire l’objet de travaux avec les Ukrainiens, notamment pour comprendre leurs besoins exacts ».

Puis, son homologue ukrainien est revenu sur les propos du général Syrskyi. « Depuis février 2024, l’Ukraine a exprimé son intérêt pour la perspective de recevoir des instructeurs étrangers en Ukraine. […] Pour l’instant, nous sommes toujours en discussion avec la France et d’autres pays sur cette question », a-t-il rectifié, via un communiqué.

Pour rappel, les forces françaises participent déjà à la formation des militaires ukrainiens, que ce soit en Pologne, dans le cadre d’une mission de l’Union européenne [EUMAM], ou en France, comme c’est actuellement le cas sur la base aérienne 120 de Cazaux.

Reste que l’envoi d’instructeurs militaires français dans un pays en guerre soulève des questions. Quels moyens de protection ? Une telle mission sera-t-elle considérée comme étant une opération extérieure [OPEX], contrairement à celles en cours en Estonie et en Roumanie ?

Or, selon la définition qui en est traditionnellement donnée, les OPEX sont les « interventions des forces militaires françaises en dehors du territoire national ». En outre, la qualification d’OPEX « résulte d’un arrêté du ministre des Armées, qui porte ouverture du théâtre d’engagement en précisant la zone géographique et la période concernées ».

Si la qualification d’OPEX est retenue, alors, en vertu de l’article 35 de la Constitution, le gouvernement devra informer « le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention » et « préciser les objectifs poursuivis ».

« Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote » mais « lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort », précise ce texte.

Par le passé, des instructeurs militaires avaient été envoyés en Ukraine par les États-Unis [Task Force Gator], le Royaume-Uni [mission Orbital] et le Canada [opération Unifier]. Seulement, il fut mis un terme à leurs mission quelques jours seulement avant le début de la guerre…

Photo : © Julien Châtellier/armée de Terre/Défense

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