La levée éventuelle des restrictions d’emploi des armes livrées à Kiev divise les membres de l’Otan
Ce 27 mai, selon l’agence Reuters, une source de la Direction principale du renseignement du ministère ukrainien de la Défense [GUR] a affirmé qu’un drone avait visé un radar de type Voronej M, situé près de la ville d’Orsk, dans la région d’Orenbourg, après avoir parcouru 1800 km en territoire russe. En outre, elle a également confirmé que Kiev était à l’origine des dégâts infligés à la base d’Amavir [Kraï de Krasnodar], laquelle abrite deux radars à ultra haute fréquence [UHF] Voronej DM.
Seulement, les sites visés par le GUR font partie d’un réseau d’alerte avancé qui est l’un des éléments clés de la dissuasion nucléaire russe dans la mesure où il permet de détecter des missiles balistiques susceptibles de se diriger vers la Russie à plus de 6000 km de distance. Or, les « actes contre des sites étatiques ou militaires d’importance critique […] dont la mise hors de fonctionnement pourrait compromettre la riposte des forces nucléaires » figurent parmi les « conditions déterminant la possibilité d’emploi de l’arme nucléaire » listées dans un document publié en 2020 par le Kremlin.
Aussi, ces actions ukrainiennes ne font pas l’unanimité. Sollicité par le quotidien britannique The Telegraph, l’analyste militaire norvégien Thord Are Iversen, a estimé que viser ces radars n’était « pas une très bonne idée, surtout en période de tension ». Il a été rejoint par Hans Kristensen, un expert de la Federation of American Scientists. « Ce n’est pas une décision sage de la part de l’Ukraine » a-t-il dit.
Quoi qu’il en soit, ces deux attaques revendiquées officieusement par Kiev ont été menées alors que le débat sur la levée des restrictions d’emploi sur les armes occidentales livrées aux forces ukrainiennes tend à s’envenimer au sein de l’Otan.
Le 24 mai, dans un entretien accordé à l’influent hebdomadaire The Economist, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, a estimé que « le moment était venu pour les alliés de réfléchir à la possibilité de lever certaines restrictions qu’ils ont imposées sur l’utilisation des armes » données à l’Ukraine. En clair, il s’agit d’autoriser les forces ukrainiennes à en faire usage pour frapper le territoire russe.
« Le fait de refuser à Kiev la possibilité d’utiliser ces armes contre des cibles militaires légitimes sur le territoire russe rend sa défense très difficile », a ainsi justifié M. Stoltenberg.
Déjà, le Royaume-Uni, par la voix de David Cameron, son ministre des Affaires étrangères, a fait savoir qu’il avait levé les siennes. « De la même façon que la Russie frappe l’Ukraine, il est tout à fait compréhensible que l’Ukraine ressente le besoin de se défendre », a-t-il dit. La Suède est désormais sur la même longueur d’onde.
« L’Ukraine est l’objet d’une guerre d’agression non provoquée et illégale de la part de la Russie. Selon le droit international, l’Ukraine a le droit de se défendre au moyen d’actions militaires dirigées contre le territoire ennemi, si ces actions sont conformes aux lois et coutumes de la guerre. La Suède soutient le droit international et le droit de l’Ukraine à l’autodéfense », a en effet déclaré Pål Jonson, le ministre suédois de la Défense.
Cependant, tous les membres de l’Otan ne partagent pas cette position. Si, le 15 mai dernier, il a laissé entendre que les États-Unis pourraient lever leurs restrictions d’emploi concernant les armes livrées à Kiev, le secrétaire d’État, Antony Blinken, a été désavoué. « Nous n’encourageons ni ne permettons les frappes sur le territoire russe », a en effet immédiatement corrigé un porte-parole de la diplomatie américaine.
Pour le moment, la France n’envisage pas [du moins officiellement] d’aller dans le même sens que le Royaume-Uni et la Suède, malgré l’appel lancé par le député Jean-Louis Bourlanges, le président de la commission des Affaires étrangères. Pour lui, un « changement de doctrine » serait « parfaitement légitime dans la mesure où il met[trait] un terme à l’inacceptable asymétrie entre la situation de l’agressé et celle de l’agresseur ».
Pour l’Allemagne, qui est l’un des principaux soutiens de l’Ukraine, il n’est pas question de lever ces restrictions d’emploi. « Il y a des règles claires pour les livraisons d’armes allemandes qui ont été convenues avec Kiev et qui fonctionnent », a-t-il affirmé, lors d’un « dialogue citoyen », à Berlin, le 26 mai.
Une position partagée par l’Italie, où la présidente du Conseil, Georgia Meloni, a remis le secrétaire général de l’Alliance à sa place. « Je ne sais pas pas pourquoi M. Stoltenberg a dit une chose pareille, je pense qu’il faut être très prudent. Je suis d’accord pour dire que l’Otan doit rester ferme, ne pas donner le signal qu’elle cède », a-t-elle avancé, avant d’évoquer des « déclarations douteuses », sur les antennes de Rai 3.
Quoi qu’il en soit, l’ancien Premier ministre norvégien ne désarme pas. Ce 27 mai, dès l’ouverture d’une réunion de l’Otan à Sofia [Bulgarie], il a répété les propos qu’il avait tenus dans les pages de The Economist. Ces restrictions « lient les mains dans le dos des Ukrainiens et rendent difficile pour eux d’assurer leur défense », a-t-il dit. Kiev « a le droit de se défendre » et a donc « le droit de frapper des objectifs militaires légitimes en dehors de l’Ukraine », a-t-il insisté.