En Ukraine, les vieux chars russes T-62 et T-54/55 sont utilisés avec « efficacité » dans une fonction d’appui-feu

Après avoir été contraintes de revoir leurs plans pour mieux se concentrer sur les régions du sud de l’Ukraine [annexées depuis par Moscou] et fait face à une contre-offensive victorieuse lancée par leurs homologues ukrainiennes grâce aux équipements fournis par les partenaires de Kiev, les forces russes ont pris plusieurs mesures qui, semble-t-il, sont assez efficaces, d’après une étude publiée le 19 mai par le Royal United Service Institute [RUSI], un influent groupe de réflexion britannique spécialisés dans les affaires militaires et les questions internationales.

Pour les besoins de leur rapport [.pdf], Jack Watling et Nick Reynolds ont recueilli les temoignages d’officiers ukrainiens impliqués dans les opérations en cours. Et il en ressort que les forces russes ont fini par s’adapter à la situation sur le terrain. Et cela n’ira pas sans poser quelques difficultés à la nouvelle contre-offensive que planifie actuellement Kiev, alors que les livraisons d’armes occidentales – notamment les chars de combat et les munitions – se poursuivent à cette fin.

D’abord, le rapport souligne que les forces russes sont désormais confrontées à des systèmes « Otan » [ce qui n’avait pas été le cas par le passé]… Et que, par conséquent, elles ont dû prendre leurs distances avec les doctrines de combat qui étaient les leurs jusqu’alors.

Ainsi, selon le RUSI, l’infanterie russe compte désormais quatre types d’unités : celles dites de « ligne » [chargées de protéger les positions acquises], celles dites d' »assaut », celles dites « spécialisée » et celles dites « jetables » [le rapport parle de « disposable infantry »], dont l’effectif est composé de volontaires des républiques populaires de Louhansk et de Donetsk, de conscrits russes mobilisés [par ailleurs faiblement entraînés] et de prisonniers de droit commun recrutés par le groupe paramilitaire Wagner.

La mission de ces combattants de « l’infanterie jetable », qui « semblent souvent être sous l’emprise d’amphétamines ou d’autres substances narcotiques », consisterait à provoquer des escarmouches soit pour identifier les positions de tir ukrainiennes [lesquelles sont ensuite visées par l’infanterie spécialisée], soit pour trouver des points faibles dans le dispositif ukrainien.

Le rapport du RUSI précise cependant que la principale faiblesse de l’infanterie russe est son moral, ce qui « conduit à une mauvaise cohésion » et à une « coopération inter-unités » défaillante.

Quant à l’artillerie russe, et après avoir subi les coups portés par l’armée ukrainienne avec les systèmes de lance-roquettes multiples [HIMARS, MLRS], elle aurait amélioré sa capacité à tirer depuis plusieurs positions et à se déplacer rapidement, réduisant ainsi sa vulnérabilité aux tirs de contre-batterie. Cette coordination des feux, selon le RUSI, s’explique par le recours aux drones et… le système de reconnaissance, de communication et de contrôle « Strelets ». Et cette évolution représente sans doute « le plus grand défi pour les opérations offensives ukrainiennes », note le rapport.

Tout comme d’ailleurs les fortifications construites par les unités du génie, lesquelles constituent, pour le groupe de réflexion britannique, « l’une des branches les plus solides de l’armée russe ».

Les sapeurs russes « ont construit des obstacles complexes et des fortifications de campagne sur le front. Cela comprend des tranchées renforcées avec du béton, des bunkers de commandement, des enchevêtrements de barbelés, des hérissons [tchèques, qui sont des obstacles anti-char, ndlr], des fossés antichars et des champs de mines », avance le rapport.

Un autre point fort des forces russes, souligné par ce dernier, est la guerre électronique en général… et la lutte anti-drones en particulier, puisque l’armée ukrainienne perdrait jusqu’à 300 drones par jour sous l’effet du brouillage russe. Tel est en tout cas l’ordre de grandeur donné par trois officiers ukrainiens interrogés par le RUSI entre avril et mai.

Le rapport avance que les forces russes ont installé des systèmes de guerre électronique, comme le Shipovnik-Aero, tous les 10 kilomètres [alors que la ligne de front est longue de 1250 km]. Et ils seraient plus précisément situés à environ 6 km derrière les positions russes. Cette efficacité en matière de lutte anti-drone avait d’ailleurs été évoquée par « The Guardian », en avril. Et le quotidien s’était alors demandé si « la suprématie des drones ukrainiens allait être bientôt terminée ».

En outre, le RUSI affirme aussi que les Russes seraient parvenus à intercepter et à déchiffrer en temps réel les communications tactiques ukrainiennes, qui reposent sur le système Motorola 256.

Par ailleurs, les défenses aériennes russes se font de moins en moins surprendre, à en croire le rapport. Elles ont « connu une augmentation significative de leur efficacité maintenant qu’elles sont installées autour d’emplacements connus et assez statiques et qu’elles sont correctement connectées » à des systèmes de détection, avance-t-il. Au point d’intercepter, admet l’armée ukrainienne, une partie des munitions tirées par les lance-roquettes multiples.

Enfin, le déstockage de vieux chars T-62 et T-54/55 a fait couler beaucoup d’encre et donné lieu à maints commentaires sarcastiques et moqueurs, amplifiés par la présence d’un seul T-34 [de la Seconde Guerre Mondiale] lors du défilé organisé le 9 mai dernier à Moscou, pour célébrer la victoire sur l’Allemagne nazie.

Cela étant, si l’état-major russe a décidé de remettre en service ces chars d’une autre époque, c’est pour qu’ils soient utilisés dans une fonction d’appui-feu, afin de fournir « un tir précis contre les positions ukrainiennes ». Ce qu’ils font avec efficacité, souligne le RUSI. D’autant plus que ces T-62 et T-54/55, qui se substituent ainsi aux véhicules de combat d’infanterie, utilisent un « camouflage thermique » qui les rend plus difficiles à repérer. Ce qui, associé à d’autres mesures « tactiques et techniques », a permis de « réduire la probabilité » de leur destruction par des missiles anti-chars à des distances supérieures à 1400 mètres, explique-t-il.

Plus généralement, les chars russes sont désormais « rarement utilisés pour tenter des percées » mais plutôt pour compléter les capacités de l’artillerie, via des tirs indirects, relève le RUSI. Cependant, les plus modernes, comme le T-80BV, sont encore sollicités pour des raids nocturnes, menés lors des rotations de troupes ukrainiennes. Leur mission? « Approcher rapidement le secteur visé, tirer autant de coups que possible dans un court laps de temps et se retirer », détaille le rapport.

Ces adaptations des forces russes font que les troupes ukrainiennes, « bien que supérieures dans leur moral et souvent dans leur entraînement », auront à relever une « série de défis tactiques difficiles » pour reconquérir le territoire de leur pays. « Surmonter
ces défis nécessite un appui soutenu et bien ciblé de leurs partenaires internationaux », conclut le RUSI.

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