Les forces armées allemandes n’ont pas encore vu la couleur du fonds spécial de 100 milliards d’euros

En septembre dernier, pour avoir appelé à la prudence au sujet de la contre-offensive ukrainienne, qu’il avait jugée « insuffisante » pour faire « reculer la Russie sur un large front », le général Eberhard Zorn, alors chef d’état-major de la Bundeswehr [forces armées fédérales allemandes] s’était attiré quelques critiques…

D’autant plus qu’il fit part de ses réticences à livrer certains types d’armes à Kiev [« tout ce que nous cédons, nous en avons besoin en retour, avait-il dit], avant de mettre en garde contre l’ouverture d’un second front par Moscou. « Kaliningrad, la mer Baltique, la frontière finlandaise, la Géorgie, la Moldavie… il y a beaucoup de possibilités. Poutine en aurait les capacités », avait-t-il estimé.

En outre, il lui était aussi reproché le mauvais état des forces armées allemandes. Or, sur ce point, le général Zorn ne pouvait faire qu’avec les moyens alloués à la Bundeswehr. Pouvait-on en attendre davantage alors que le budget de la défense allemand a constamment été soumis à des vents contraires au cours de ces dernières années?

Quoi qu’il en soit, après cinq années passées à la tête de la Bundeswehr, le général Zorn devrait quitter bientôt ses fonctions pour être remplacé par le général Carsten Breuer, l’actuel « patron » du « commandement territorial » [TerrFüKdoBw], créé en septembre dernier. Telle est la proposition faite par Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense.

À vrai dire, les difficultés budgétaires de la Bundeswehr font partie du passé. En théorie, du moins. L’an passé, quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, le chancelier allemand, Olaf Scholz, pour réticent à augmenter les dépenses militaires quand il était le ministre des Finances du dernier gouvernement dirigé par Angela Merkel, a annoncé la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros destiné à pallier les carences des forces armées d’outre-Rhin. Ce qu’il théorisera, plus tard, dans une tribune publiée par la revue américaine Foreign Affairs, en parlant de « changement d’époque » [« Zeitenwende »].

Auparavant, M. Scholz avait justifié la création de « fonds spécial » en expliquant que l’Allemagne devait se doter de la « plus grande armée conventionnelle dans le cadre de l’Otan en Europe ». Et d’assurer que Berlin investirait, en moyenne, « environ 70 à 80 millards d’euros par an » pour développer ses capacités militaires « au cours des prochaines années ». Soit l’équivalent d’environ 2% du PIB.

Seulement, et c’est là que les reproches adressés au général Zorn peuvent se justifier, la situation de la Bundeswehr ne s’est pas améliorée depuis les annonces de M. Scholz. Annonces qui, par ailleurs, et aux dires d’experts militaires, sont insuffisantes pour « réparer » la Bundeswehr et revenir sur des années de sous-investissements.

« La Bundeswehr manque de tout. Et elle en a encore moins depuis le 24 février [premier jour de la guerre en Ukraine, ndlr] », a en effet déploré Eva Högl, la commissaire parlementaire auprès des forces armées fédérales allemandes, ce 14 mars. « Cela concerne la formation, les exercices et aussi l’équipement en opération », a-t-elle ajouté.

En février, dans les pages du journal Bild am Sonntag, le colonel Andre Wüstner, président de l’Association indépendante des forces armées [DBwV], a fait un constat identique. « Il n’y a eu aucune amélioration notable » depuis les annonces faites l’année dernière, a-t-il dit. « Il faut plus de rapidité, que ce soit en termes de matériel, de personnel ou d’infrastructures, il faut un vrai revirement qui se ressente dans les troupes en cette période parlementaire… sinon le ‘tournant’ est passé », a-t-il fait valoir, avant de souligner que la préparation opérationnelle de certaines unités, notamment celle relevant de l’artillerie, continuait à décliner, les matériels fournis à l’Ukraine n’ayant pas été remplacés.

« Nous n’avons pas assez de chars pour pouvoir former, pour pouvoir nous entraîner et pour avoir ensuite les moyens nécessaires lors d’un engagement, il manque des bateaux et des navires, il manque des avions », a aussi détaillé Mme Högl. Même chose pour les équipements individuels, comme les jumelles de vision nocturne, les radios, etc. Et pour cause.

En effet, selon la commissaire parlementaire, la Bundeswehr n’a pas encore vu la couleur des 100 milliards d’euros qui lui ont promis. « Pas un euro ni un centime de ce fonds spécial n’a encore été dépensé », a-t-elle affirmé. « C’est pourquoi je demande que cet argent important pour la Bundeswehr parvienne rapidement aux troupes et que cette année, certaines choses soient acquises de manière tangible », a-t-elle dit.

Outre les équipements, les infrastructures sont dans un état déplorable. « Il manque des logements, des toilettes qui fonctionnent, des douches propres, des casiers, des installations sportives couvertes, des cuisines pour les troupes, des installations d’encadrement, des dépôts de munitions et des armureries, sans oublier le wifi », a énuméré Mme Högl, qui estime à 50 milliards d’euros l’investissement nécessaire pour y remédier.

Reste que les 100 milliards du fonds spécial sont très insuffisants pour « combler toutes les carences ». Citant des « experts militaires », Mme Högl a avancé le montant de 300 milliards d’euros, dont 20 milliards pour les seules munitions.

En tout cas, pour M. Pistorius, les dépenses militaires allemandes doivent « augmenter continuellement » car « nous sommes dans une situation sécuritaire où nous devons plus que jamais équiper la Bundeswehr ». Mais pour le moment, celle-ci doit s’armer de… patience.

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