Pour le général Burkhard, l’efficacité opérationnelle des armes hypersoniques russes « n’est pas encore à maturité »

Ces dernières années, la Russie a développé trois armes hypersoniques, qualifiées « d’invincibles » par son président, Vladimir Poutine, lors d’un discours prononcé en mars 2018. Parmi celles-ci, on trouve le Kinjal, un missile aérobalistique emporté par l’avion de combat MiG-31K, le planeur hypervéloce « Avanguard », lancé par un missile balistique intercontinental RS-18/SS-19, et le Zirkon [ou Tsirkon], récemment déclaré opérationnel à bord de la frégate « Amiral Gorshkov », laquelle participe actuellement à des manoeuvres avec les forces navales sud-africaines et chinoises.

Pour les forces russes, le déploiement de tels armes sert avant tout à envoyer des messages à leurs homologues occidentales, comme en 2021, avec l’envoi de deux MiG-31K en Syrie, alors que le groupe aéronaval du porte-avions britanniques HMS Queen Elizabeth croisait en Méditerranée orientale. Ou encore comme avant le début de la guerre en Ukraine, des missiles Kinjal, ayant été déployés à Kaliningrad, mettant ainsi à leur portée la quasi-totalité des capitales européennes. À noter qu’un tel engin peut être doté d’une tête nucléaire ou d’une ogive à fragmentation de 500 kg…

Quoi qu’il en soit, et au-delà de cet « affichage », les forces russes ont été les premières à utiliser des armes hypersoniques au combat. En effet, le 18 mars 2022, elles affirmèrent avoir tiré un missile Kinjal contre un entrepôt souterrain de munitions situé près de la localité ukrainienne de Deliatyn. Depuis, d’autres auraient a priori été utilisés… avec des effets pour le moins limités.

Tel est d’ailleurs le constat établi par le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition dédiée à la dissuasion nucléaire, à l’Assemblée nationale.

« La mise en service de missiles hypersoniques a bien eu lieu. Si leur emploi a été très médiatisé, leur efficacité opérationnelle n’est pas encore à maturité », a en effet affirmé le général Burkhard. Cependant, a-t-il continué, « nous ne pouvons ignorer l’apparition de cette menace » car « un jour, la pleine capacité opérationnelle sera atteinte ».

Aussi, a-t-il rappelé, « c’est un domaine dans lequel nous travaillons également », avec l’ASN4G, un missile hypersonique appelé à prendre la relève de l’ASMP-A Rénové au sein des Forces aériennes stratégiques [FAS] et de la Force aéronavale nucléaire [FANu] à l’horizon 2035 [et il sera mis en oeuvre par le Rafale F5, a-t-il confirmé, ndlr]. Quant au projet de planeur hypersonique V-MAX, qui aurait dû fait l’objet d’un premier essai en 2022, le CEMA n’a rien dit à son sujet.

En tout cas, pour celui-ci, l’intérêt d’un missile hypersonique est sa « capacité accrue de pénétration des systèmes de défense », ce qui fait « peser une menace de décapitation, c’est-à-dire de frappes sur les centres de pouvoir et de décision ». Ce que le Kinjal n’a pas été en mesure de faire en Ukraine. « Ce n’est pas ce que l’on a vu pour l’instant, mais c’est une menace en développement », a conclu le général Burkhard sur ce sujet.

Par ailleurs, s’agissant de la guerre en Ukraine, le CEMA a estimé que la Russie est en train de « dévoyer » sa dissuasion pour « conduire une agression sous protection nucléaire ». Et d’ajouter : « Notre liberté d’action est impactée par la menace nucléaire de l’agresseur. C’est une déclinaison de la logique des engagements imposés » et « c’est aussi une transformation profonde du cadre de la stabilité stratégique, de la non-prolifération et du désarmement ».

Cela étant, sur ce point, la nouvelle doctrine russe en matière de dissuasion nucléaire, publiée en juin 2020, cultive quelques ambiguïtés… Celle-ci indique, par exemple, que, « en cas de conflit militaire, la politique de l’État dans le domaine de la dissuasion nucléaire visera à empêcher l’escalade des hostilités et y mettre fin dans des conditions acceptables pour la Fédération de Russie et [ou] ses alliés ».

Ce qui, souligne une note de la Fondation pour la recherche stratégique, peut vouloir dure que « pour mettre fin au combat, la Russie s’appuie sur la puissance de la dissuasion nucléaire – les capacités correspondantes et le fait qu’elles soient opérationnelles -plutôt que sur l’emploi effectif des armes nucléaires ».

Reste que pour le général Burkhard, « l’issue du conflit sera évidemment un indicateur très fort pour un grand nombre de pays, qui pourraient considérer finalement que s’ils ne disposent pas de l’arme nucléaire, ils ne sont plus protégés ». Mais dans le même temps, a-t-il souligné, « cela donne néanmoins plus de valeur aux mécanismes de défense collective », avec la « revitalisation des grandes alliances, comme on le voit avec la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande qui veulent rejoindre l’Alliance atlantique et son parapluie nucléaire ».

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]