En Ukraine, les récents bombardiers tactiques russes Su-34 « Fullback » sont mis à rude épreuve

Selon les estimations du site Oryx, qui documente les pertes subies par les deux camps depuis le début de la guerre en Ukraine, les forces russes auraient perdu 68 avions et 74 hélicoptères, dont au moins 30 Ka-52 « Alligator », admis en service au début des années 2010. Certains de ces appareils ont été détruits [ou trop gravement endommagés pour être remis en état] alors qu’ils étaient au sol, leur base ayant été attaquée par les Ukrainiens, comme celles de Saki, en Crimée [août 2022].

Quoi qu’il en soit, les avions d’attaque Su-25 « Frogfoot » et les bombardiers tactiques Su-34 « Fullback » représentent respectivement 37% et 26% des pertes subies par les forces aérospatiales russes [VKS] en Ukraine. Et, pour la plupart, ces appareils ont été perdus dans des actions de combat.

Si, malgré leur robustesse, le nombre de Su-25 détruits n’est pas surprenant au regard de leurs conditions d’emploi, celui des Su-34 l’est davantage, d’autant plus qu’il s’agit d’avions figurant parmi les plus modernes des VKS.

Pour rappel, surnommé le « char volant » en raison de sa masse de 45 tonnes au décollage, due à son blindage de 17 mm et à sa capacité à emporter entre 8 et 12 tonnes de munitions, le Su-34 est un biréacteur doté d’une avionique moderne, d’un radar de suivi de terrain, d’un système de désignation laser et de contre-mesures électroniques. Pouvant voler à la vitesse de Mach 1,8, son rayon d’action est de 1100 km. Et il censé remplacer progressivement les Su-24 « Fencer », dont 9 exemplaires ont été perdu durant la guerre en Ukraine.

Avant le début de celle-ci, les VKS avaient reçu 124 Su-34 « Fullback ». Et une commande portant sur 76 appareils supplémentaires, portés au standard « Su-34M » [ou « Su-34 NVO »], fut notifiée en 2020. Et, à ce jour, 14 exemplaires de ce nouveau lot ont été livrés [les derniers l’ayant été le 29 décembre, ndlr].

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce nombre d’avions d’attaque et de bombardiers tactiques perdus par les VKS. La première tient à la qualité de la défense aérienne ukrainienne, dont les capacités, en plus d’avoir été relativement peu dégradées par l’aviation russe, ont été renforcées par l’aide occidentale [missiles MANPADs, blindés anti-aériens Gepard, batteries NASAMS et IRIS-T SLM, par exemple, sans oublier l’action de ses pilotes de chasse, qui ont multiplié les sorties].

Et cela d’autant plus que, comme l’a souligné Jean-Christophe Noël dans une note [.PDF] de l’Institut français des relations internationales [IFRI], la doctrine russe, héritée de la période soviétique, réserve « principalement l’usage de l’aviation au soutien des forces terrestres ».

En outre, les VKS font face à des difficultés structurelles, en plus d’être apparemment tenues à l’écart, aucun de ses officiers ne figurant dans l’organigramme du haut commandement militaire russe. Pire : en 2017, le Kremlin avait nommé à leur tête le général Serguei Sourovokine… un officier issu de l’infanterie motorisée [et qui dirige, depuis octobre 2022, les opérations en Ukraine].

Mais au-delà de cet aspect, les forces aériennes russes manquent de pilotes confirmés, bien entraînés et, surtout, aguerris, leurs derniers engagements, comme en Syrien ne les ayant pas préparées à un conflit de « haute intensité ». Leur modernisation, avec la livraison de nouveaux appareils, ne s’est pas accompagnée par une hausse des heures de vol de ses équipages.

Or, relève l’IFRI, ceux-ci « ont besoin de s’entraîner pour maîtriser la complexité de leurs avions multirôles les plus modernes ». Et selon le Royal United Service Institute [RUSI], un centre de réflexion britannique, « le nombre d’heures de vol moyen des pilotes de chasse russes serait de moins 100 heures par an »… Pour rappel, la norme de l’Otan est de 180 heures par an…

« Les équipages s’entraînent fatalement moins à certaines missions que d’autres et participent à peu d’exercices où ils peuvent évoluer avec d’autres acteurs, dans des dispositifs aériens complexes ou en coopération avec des troupes au sol », en conclut la note de l’IFRI.

Quoi qu’il en soit, la tentation des VKS serait d’engager ses pilotes les plus expérimentés, notamment parmi les instructeurs de ses écoles de pilotage, dans les actions de combat en Ukraine. C’est d’ailleurs ce que note le RUSI, dans un récente étude.

« L’armée ukrainienne a noté une présence plus nombreuse de pilotes très jeunes ou d’autres très âgés dans les forces aériennes russes, avec des pilotes expérimentés renvoyés au front », indique-t-elle. Et cela pourrait avoir pour effet de limiter la capacité des VKS à former de jeunes pilotes… alors qu’elles sont déjà confrontées à des difficultés de recrutement.

En effet, rappelle une note du Centre d’études stratégiques aérospatials [CESA] de l’armée de l’Air et de l’Espace [AEE], le ministère russe de la Défense avait fait état d’une pénurie de 1300 personnels navigants en 2015… et lancer une campagne de recrutement pour y remédier. « La démarche est cependant très longue et le processus de recrutement, sélectif et procédurier, ne permet souvent pas d’honorer les objectifs. Par ailleurs, comme dans le domaine spatial, les postes de technicien, d’ingénieur ou de pilote pour le compte des armées sont rarement valorisés, notamment au niveau financier », explique le document.

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