La Colombie envisage l’achat de 16 avions de combat Rafale
La modernisation des forces aériennes des pays d’Amérique du Sud s’avère souvent très compliquée, tant pour des raisons économiques, politiques ou encore diplomatiques. Ainsi, ayant lancé un appel d’offres au début des années 2000 pour se procurer 36 nouveaux avions de combat, le Brésil vient juste de mettre en service ses premiers JAS-39 Gripen E/F, un appareil sélectionné en décembre 2013, après maints rebondissements, aux dépens du Rafale de Dassault Aviation et du F/A-18 Super Hornet de Boeing.
L’Argentine tente vainement, depuis plus d’une dizaine d’années, de redonner du lustre à son aviation de combat… Si plusieurs solutions ont été sur le point de se concrétiser, aucune n’a finalemement été retenue à ce jour. Et cela en raison de l’intransigeance du Royaume-Uni, qui refuse que des avions militaires soient vendus à Buenos Aires s’ils contiennent des composants britanniques, mais aussi de l’état économique du pays et de considérations diplomatiques [Buenos Aires hésitant à se tourner vers la Russie et la Chine]. Cette situation risque de durer : récemment, le président argentin, Alberto Ángel Fernández, a fait connaître sa décision de renvoyer aux calendes grecques la modernisation de la Fuerza Aérea Argentina.
Élu en juin, le président colombien, Gustavo Petro, issu de la gauche, a jeté un froid en affirmant qu’il ne souhaitait pas acquérir de nouveaux avions de combat dans l’immédiat… Du moins tant que des réformes sociales ne seraient pas entrées en vigueur. Or, Bogota n’étant pas en bons termes avec Caracas [qui a obtenu des Su-30 russes], la Fuerza Aérea Colombiana espérait alors pouvoir remplacer sa vingtaine de chasseurs-bombardiers Kfir, un appareil développé par Israel Aerospace Industries sur la base du Mirage 5 de Dassault Aviation.
À force d’être sans cesse renvoyé à des jours meilleurs, ce dossier est devenu urgent : bien que modernisés, les Kfir arrivent au bout de leur potentiel… et font l’objet de restrictions de vol depuis 2014, année où deux exemplaires furent perdus [ce qui donna lieu à une « grève du casques » chez les pilotes colombiens].
En juillet 2019, Bogota annonça une enveloppe d’un milliard d’euros allait être débloquée pour acquérir de nouveaux avions de combat. Et il était alors avancé que l’Espagne comptait proposer des Eurofighter EF-2000 d’occasion et que le Gripen suédois ainsi que le F-16 américain seraient évalués. Puis, en novembre de la même année, il fut rapporté qu’une délégation française, emmenée par un « ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air », avait fait le voyage à Bogota pour proposer 12 Rafale C, dans le cadre d’un Contrat de partenariat gouvernemental [CPG], avec des facilités financières.
Par la suite, l’offre espagnole sortit des radars colombiens. Quant aux États-Unis, ils proposèrent un lot de F-16 C/D prélevés dans l’inventaire de l’US Air Force, en insistant sur la possibilité de les porter au standard « Viper » [soit le dernier mis en point par Lockheed-Martin pour cet appareil] dès que les moyens de Bogota le permettraient. Un temps, il fut question d’acquérir d’anciens F-16 ayant servi sous les cocardes danoises… Ce qui ne pouvait pas se faire.
Puis, ces dernières semaines, le Gripen E/F fit l’objet de rumeurs laissant entendre qu’il était sur le point d’être choisi par la Fuerza Aérea Colombiana, malgré les signaux envoyés par le président Petro.
Visiblement, celui-ci s’est laissé convaincre par la nécessité de remplacer les Kfir… Mais contrairement à ce qu’assuraient les bruits de coursive, cette volte-face ne profitera pas au Gripen E/F. En effet, le 21 décembre, ministère colombien de la Défense a fait savoir que sa préférence va vers le Rafale et qu’il a l’intention d’en commander 16 exemplaires.
« La proposition de l’avion Rafale est la meilleur option pour le pays en termes de prix, d’efficacité et d’opérabilité. Une heure de vol de Rafale coûte à peu près 30% moins cher qu’une heure de vol de Kfir [estimée à 89 millions de pesos », a en effet indiqué la présidence colombienne, via un communiqué.
Hasta el momento, la propuesta de los aviones Rafale es la mejor opción para el país en relación precio, eficiencia y operatividad. Una hora de vuelo de un avión Rafale es aprx. 30 % más barata que la de un Kfir (estimada en $89 millones). pic.twitter.com/awRtFTZHJB
— Mindefensa (@mindefensa) December 21, 2022
Pour le moment, aucun contrat n’a été signé… Et l’achat des Rafale ne devra pas remettre en cause la politique sociale qu’entend mener le président Petro. « Pas un seul peso prévu pour la réforme fiscale et l’investissement social ne sera dépensé dans les avions de combat. Les priorités sont et seront la réforme agraire, la faim zéro, la gratuité de l’enseignement supérieur, le bien-être des mères chefs de famille et de la jeunesse du pays », a-t-il fait valoir.
Seulement, le communiqué de la présidence a aussi expliqué que l’achat de nouveaux avions de combat est « nécessaire » car la flotte actuelle « a plus de 42 ans d’utilisation ». Et d’ajouter : « L’exploitation et l’entretien des Kfir coûtent cher et peuvent être risqués. La Colombie est aujourd’hui pratiquement le seul opérateur de la plateforme Kfir. Cela signifie qu’aucun avion ni pièce de rechange n’est produit, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une capacité non durable ».
Au-delà des capacités du Rafale, il est possible que Bogota ait été sensible aux conditions financières proposées par Paris. Selon le ministre colombien de la Défense, Iván Velásquez, les paiements seraient effectués cinq ans après la signature du contrat, « dans le but de ne pas sacrifier les ressources qui sont aujourd’hui indispensables aux dépenses sociales ».
Le choix de Bogota a également une dimension politique. Étant donné que Saab a proposé des Gripen E/F devant être assemblés au Brésil, il est probable que le gouvernement colombien y a vu un risque dans le cas où Brasilia aurait la tentation de se rapprocher avec Caracas… D’ailleurs, réélu après une éclipse de douze ans, le président brésilien, Lula da Silva, a d’ores et déjà annoncé la reprises des relations diplomatiques avec le Venezuela…
Par ailleurs, la gauche colombienne, désormais aux manettes à Bogota, n’est pas alignée sur la politique de Washington… que le président Petro a accusé, le 20 octobre, de « pratiquement ruiner toutes les économies du monde en faisant monter leurs taux d’intérêt ». Et d’expliquer : « Les États-Unis prennent des décisions pour se protéger eux seuls, parfois sans penser à ce que leurs mesures vont entraîner. L’économie des nations latino-américaines se vide […] Nos monnaies se déprécient, pas seulement le peso colombien ».