Le général Burkhard tire les leçons de la guerre en Ukraine pour la future Loi de programmation militaire

Les retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine ne manqueront pas d’influencer la prochaine Loi de programmation militaire [LPM] qui façonnera le modèle d’armée dont la France aura besoin à l’avenir, même s’ils n’en seront pas forcément l’alpha et l’oméga.

« Il ne faut pas tout sacrifier face à l’urgence des crises actuelles. L’objectif, c’est de se poser les bonnes questions. Le but n’est pas de décider tout de suite d’augmenter ou de diminuer le nombre de chars Leclerc, ce n’est pas ça l’enjeu. Le but, c’est de définir une programmation d’ensemble », a confié un interlocuteur du quotidien Le Monde, au fait des discussions en cours.

A priori, selon le journal du soir, une enveloppe d’environ 400 milliards d’euros pour la période 2024-30 serait sur la table. Soit 100 milliards de plus rapport à la LPM 2019-25. Mais cette hausse, même si elle est substantielle, sera – si elle se confirme – à relativiser à l’aune de l’inflation… En outre, une partie sera destinée à la modernisation de la dissuasion nucléaire… Et une autre aux priorités identifiées par la Revue nationale stratégique [RNS], dont l’influence, le cyber et l’espace.

Quoi qu’il en soit, la nature des combats en Ukraine évoluant à mesure que la guerre se prolonge, il serait hasardeux d’en tirer des conclusions définitives. Ainsi, quand le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, s’est exprimé devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, le 5 octobre, la Russie n’avait pas encore systématiquement ciblé les infrastructures critiques [énergie, distribution d’eau] ukrainiennes.

Cela étant, les retours d’expérience des premiers mois de cette guerre ont permis de tirer quelques leçons que le CEMA a partagées avec les députés lors de son audition, dont le compte-rendu a été publié le 16 décembre.

Sans surprise, le général Burkhard a une nouvelle fois insisté sur « l’importance de la force morale », qui est, à ses yeux, le premier enseignement de la guerre en Ukraine. « Parce que tout le pays est derrière eux, les soldats ukrainiens défendent chaque ville, village, forêt, rivière, et cela produit des effets. Sans l’appui de la nation entière, ils ne se battraient pas comme ils le font », a-t-il souligné. D’où l’accent mis sur les réserves militaires dans la prochaine LPM et l’implication des armées dans le Service national universel [SNU].

La seconde leçon évoquée par le CEMA est que la « guerre informationnelle est partout ». Dans ce domaine, a-t-il observé, l’Ukraine a pris « habilement la main au niveau tactique et opératif » dès le début, alors que ce « n’était pas gagné d’avance ». En revanche, la Russie « réussit probablement peser davantage, avec un narratif assez bien développé » au niveau stratégique.

Sur ce point, le général Burkhard a évoqué les actions du groupe paramilitaire russe Wagner, dont l’arrivée en Centrafrique et au Mali a été précédée par une campagne de désinformation visant la France. « L’influence de la Russie augmente parce que nous lui avons laissé le champ », a-t-il dit. Aussi, un « effort important s’impose dans la lutte informationnelle, car s’en tenir au seul champ cinétique est désormais contre-productif ».

La nécessité de changer d’échelle pour la préparation opérationnelle et la troisième leçon du conflit. « L’armée russe, assez agile en Syrie, s’est trouvée confrontée à ses propres limites : une armée manquant d’entraînement, avec des cadres incapables de prendre une initiative, une logistique difficile à articuler, une difficulté manifeste à conduire un combat interarmes et interarmées et à manœuvrer », a détaillé le CEMA. Ces lacunes ont été exploitées par les forces ukrainiennes, qui ont « infligé d’emblée des pertes très sévères » aux Russes, a-t-il souligné.

Mais l’un des principaux enseignements, car il pourrait avoir des implications dans les capacités futures des armes, est sans doute la « transparence du champ de bataille, rendue possible par l’emploi massif de moyens peu sophistiqués, peu onéreux et assez répandus » car « avec des micro-drones vendus dans le commerce, on parvient à voir ce qui se passe derrière la colline, voire un peu plus loin », a constaté le général Burkhard. Et à cela s’ajoute « l’extrême létalité des frappes d’artillerie des Russes, qui peuvent aller très loin dans la profondeur du territoire, comme celle des armes antichars », ce qui plaide en faveur du besoin exprimé par l’armée de Terre au sujet des « feux dans la profondeur ».

Pour le CEMA, cette description est celle du « champ de bataille aujourd’hui » et « préfigure ce qu’il sera demain ». Et d’ajouter : « C’est contre ce type de modes d’actions que nous devons nous protéger, en tentant d’opacifier le champ de bataille pour contrer l’adversaire, car la létalité des armes employées permet la mise hors de combat de toute cible vue, même dans la profondeur des lignes adverses ».

Au niveau capacitaire, cela devrait se traduire par le développement d’un « système de combat très concentré », avec un « réseau multi-senseurs et multi-effecteurs : multi-senseurs pour voir et partager, permettant ainsi au réseau d’effecteurs de traiter ce qui a été détecté – réseau effecteurs qui, étant donné la guerre permanente de l’information, doit être à la fois cinétique et informationnel », a expliqué le général Burkhard. « Cette combinaison est cruciale », a-t-il insisté.

Une autre observation faite par le CEMA est « l’importance des localités » dans cette guerre. « Tous les combats ont lieu lieu autour des villes, où il est plus facile de se cacher pour échapper à la transparence du champ de bataille et aux armes à forte létalité précédemment évoquées ; elles deviennent des points clés que l’on prend ou que l’on perd », a-t-il développé.

Enfin, pour le général Burkhard, il faudra « renforcer la capacité d’agir de manière très fluite », ce qui passe par un « réseau très bien organisé, avec un niveau de seuil toujours capable de fournir les informations ». Et, a-t-il continué, il faudra aussi probablement « viser une organisation très plastique du commandement, s’adaptant à la phase de la bataille que l’on est en train de construire ». En tout cas, « nous y réflechissons », a-t-il conclu.

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