Le général Burkhard tord le cou à l’idée d’une « armée européenne »

Malgré l’échec de la Communauté européenne de Défense [CED] dans les années 1950, l’idée d’une « armée européenne » revient régulièrement avancée dans le débat public. Elle prend parfois plus ou moins de vigueur sous l’effet des tensions transatlantiques et des crises que l’on a connues au cours de ces dernières années. Ainsi, en 2015, alors qu’il était président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker l’avait défendue… Et Ursula von der Leyen, qui lui a depuis succédé, était allée dans le même sens, affirmant que « notre avenir en tant qu’Européens passera un jour par une armée européenne ». Et de prophétiser que « ses petits enfants connaîtraient des États-Unis d’Europe, avec leur propre armée ». Autant dire qu’une telle perspective, selon elle, serait relativement proche.

La guerre en Ukraine a remis cette idée en selle. Et elle serait même de plus en plus populaire à en juger par les résultats du Baromètre européen Vivavoice pour France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, publié en mars dernier. Ainsi, 73% des Français interrogés auraient dit être favorables à une « armée de défense européenne », sans que l’on sache toutefois ce que cette expression voulait dire exactement…

Quoi qu’il en soit, l’un des arguments en faveur de cette idée consiste à dire que les 27 « petites armées » des pays membres de l’UE seraient plus efficaces si elles n’en formaient plus qu’une… Et que la situation actuelle ne fait que favoriser l’industrie américaine de l’armement.

Lors de son audition à l’Assemblée nationale, dédiée au projet de loi de finances [PLF] 2023, et dont le compte-rendu a été publié deux mois après qu’elle a eu lieu, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, a eu à s’exprimer sur ce sujet.

« Faut-il une armée européenne? La question est sous-jacente quand on évoque l’Europe de la Défense et ma réponse sera factuelle : décider d’engager des militaires en opération, c’est décider que des gens peuvent mourir et donner la mort. C’est une responsabilité considérable, et je ne pense pas qu’une telle décision puisse être déléguée à une autre instance que le président élu, comme c’est le cas en France, ou le Gouvernement ou la représentation parlementaire d’un pays donné », a répondu le général Burkhard.

Et d’ajouter : « Si l’on en arrive à une armée européenne, c’est qu’une fusion politique aura eu lieu. Dans le schéma communautaire actuel, je pense que ce n’est pas possible. Reste la capacité, fondamentale, des alliés à travailler ensemble, et l’interopérabilité au sein de l’Union européenne et de l’Otan a beaucoup progressé ».

À ce propos, le CEMA a une nouvelle fois laissé entendre qu’opposer l’Otan à l’UE serait improductif.

« Plusieurs pays européens, qu’il faut voir tels qu’ils sont et non tels qu’on aimerait qu’ils soient, estiment, probablement à juste titre, que leur sécurité collective passe par l’Otan, et qu’en cette matière l’Union européenne est dans un deuxième champ », a souligné le général Burkhard. Et, a-t-il continué, « l’Alliance atlantique fonctionne depuis des décennies » et que si « on peut la critiquer », la « guerre en Ukraine conforte l’opinion des pays qui voient les choses ainsi ». Aussi, « nous devons le comprendre », a-t-il estimé.

Pour autant, a continué le CEMA, « cela ne signifie pas qu’il faille s’abstenir de promouvoir la défense de l’Europe et un esprit de Défense européen mais, aujourd’hui, il faut le faire dans le cadre de l’Otan » car ce « n’est pas en opposant l’Union européenne à l’Otan que l’on fera prendre conscience à ces États qu’un pilier européen doit se développer au sein de l’Alliance ».

Cependant, pour le général Burkhard, les Européens « doivent prendre conscience qu’un jour peut-être les Américains ne voudront ou ne pourront venir »… Et que si cela arrive, ils ne devront pas se trouver dans une situation dans laquelle ils ne peuvent « rien faire ». Aussi, a-t-il insisté, « passons donc par l’Otan pour convaincre nos alliés en Europe de renforcer le pilier européen de Défense ».

Plus précisément, a estimé le CEMA, les Européens « doivent construire une stratégie en faveur de la sécurité du continent à l’horizon de cinq à dix ans et déterminer comment prendre en compte la Russie qui sera probablement affaiblie mais toujours bien présente ». Quant aux Américains, s’ils « doivent participer à la réflexion à venir, ils ne peuvent pas la conduire car leur vision de la sécurité en Europe n’est pas la même que la nôtre – de même que les enjeux vus de l France, de l’Espagne ou de l’Italie peuvent différer de ceux vus de l’Estonie ou de la Pologne », a-t-il conclu.

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