Les chars Leclerc n’ont pas été autorisés à emprunter les routes allemandes pour rejoindre la Roumanie

En 2017, un rapport « confidentiel » de l’Otan, évoqué par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, s’était inquiété des difficultés pour les forces alliées [et américaines en particulier] à intervenir rapidement en Europe de l’Est en cas de nécessité.

Dans le détail, ce document pointait les complications bureaucratiques pour passer d’un pays à un autre ainsi que des problèmes liés aux infrastructures dont certaines, à cause de normes de construction différentes, n’étaient pas considérées suffisamment robustes pour supporter le passage de chars pesant plus de soixante tonnes, comme les M1A2 Abrams. En outre, il déplorait aussi le manque de points d’approvisionnement pour les véhicules blindés et de trains pour transporter les équipements lourds.

Aussi, à l’époque, il fut question de mettre en place un « espace Schengen militaire » afin d’aplanir une grande partie de ces difficultés. Et l’Union européenne [UE] proposa un plan visant à améliorer la mobilité militaire entre ses États membres. Et, à cette fin, un budget de 6,5 milliards d’euros avait été proposé dans le projet de cadre financier pluriannuel pour la période 2021-27. Mais en juillet 2020, il fut décidé d’y consacrer « seulement » 1,5 milliard.

Visiblement, la tâche pour favoriser la mobilité militaire dans l’espace européen est encore plus vaste qu’on ne pouvait le penser. Et l’armée de Terre vient d’en faire l’expérience au moment d’envoyer des VBCI [Véhicules blindés de combat d’infanterie] du 152e Régiment d’Infanterie [RI] et des chars Leclerc du 1er Régiment de chasseurs [RCh] à Cincu [Roumanie], dans le cadre de la mission Aigle, menée au profit de l’Otan.

Si le transport des VBCI par les porte-engins blindés [PEB] TRM700-100 du 516e Régiment du Train [RT] n’a pas posé de problème particulier, il en est allé tout autrement pour les Leclerc. Ainsi, le 4 novembre, le quotidien Le Monde a révélé que les chars français « se sont vu opposer un refus catégorique de transit par voie routière de la part de l’Allemagne […] au titre de limitation de tonnages s’appliquant même à la Bundeswehr ».

Avec sa remorque, un TRM700-100 affiche une masse [à vide] de 36,79 tonnes. Et un char Leclerc pèse 56,6 tonnes [en ordre de combat]. Soit un total d’un peu plus de 93 tonnes.

Quant à la Bundeswehr, pour transporter ses chars Leopard 2A7 [63,9 tonnes], elle utilise un porte-char SLT 2 Mammut dont le poids maximum autorisé est de 130 tonnes. Par ailleurs, pour ses Abrams, l’US Army dispose de porte-blindés de type HETS A1 [Heavy Equipment Transporter System] dont la masse dépasse allégrement les 100 tonnes une fois chargé.

Aussi, à première vue, aucune raison ne justifierait l’interdiction des PEB de l’armée de Terre à circuler sur les routes allemandes avec un Leclerc sur leur remorque. Sauf que c’est un peu plus compliqué… En effet, comme en France et ailleurs, le code de la route allemand prend en compte la « charge par essieu », c’est à dire la charge maximale admise pour chaque essieu d’un véhicule. Et, outre-Rhin, la limite autorisée serait de 12 tonnes par essieu.

C’est, en tout cas, l’explication dont a fait part Jean-Dominique Merchet, du journal l’Opinion, sur Twitter, après avoir obtenu des éclaircissements auprès de l’ambassade d’Allemagne en France. « L’autorisation non accordée est liée aux poids des chars, mais aussi à l’itinéraire sur certains ponts. La charge par essieu autorisée ne doit pas dépasser 12 tonnes. […] Les États-Unis, la Grande-Bretagne et l‘Allemagne transportent des chars de combat plus lourds avec leurs propres remorques surbaissées, dans la limite de la charge pas essieu autorisée », a-t-il rapporté.

Effectivement, le SLT 2 Mammut compte onze essieux [quatre pour le tracteur et sept pour la remorque] quand le TRM 700-100 n’en a que neuf [3+6], comme du reste les porte-chars américains HET A1, mais selon une répartition différente [4+5].

Si les choses étaient simples, la charge par essieu pour un PEB transportant un char Leclerc serait a priori dans la limite permise [10,36 tonnes/essieu]. Sauf que d’autres subtilités sont à prendre en considération… comme la distinction entre les essieux moteurs et les essieux porteurs, les limites autorisées étant plus élevées pour les premiers que pour les seconds. Ce qui suppose de faire des calculs plus compliqués qu’une addition suivie d’une division.

Quoi qu’il en soit, s’il peut circuler en France [grâce à des dérogations au Code de la route précisées par l’arrêté du 13 avril 1961 « relatif à la circulation des convois et transports militaires routiers »], un PEB transportant un char Leclerc n’est donc pas autorisé à rouler en Allemagne. D’où le recours à la voie ferrée, comme cela a déjà le cas quand il s’était agi de déployer un escadron blindé en Estonie.

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