Un rapport parlementaire insiste pour doter la Marine nationale de deux porte-avions de nouvelle génération

Il y a une cinquantaines d’années, la Marine nationale alignait trois porte-avions, le Foch et le Clemenceau côtoyant alors l’Arromanches, lequel servait surtout à la qualification des pilotes à l’appontage. Et, à l’époque, un tel format permettait d’envoyer un groupe aéronaval à l’autre bout du monde [dans l’océan Pacifique, en l’occurence] pendant plusieurs mois.

Ainsi, après le Foch [en 1966], le Clemenceau appareilla de Toulon en mars 1968 pour former, avec son escorte, le « groupe Alfa » dont la mission consistait à surveiller les essais nucléaires français en Polynésie. Il revint à son port base en décembre de la même année, après avoir franchi le Cap Horn et visité l’Argentine, le Brésil, le Gabon [où ses avions embarqués firent des démonstrations aériennes au profit des autorités gabonaises] et le Sénégal. Le commandant Ramon Josa, figure de l’aéronavale, a d’ailleurs raconté les détails de ce périple dans son autobiographie [« Marin & pilote – Servir en mer et dans les airs« , ndlr].

L’Arromanches ayant été désarmé en 1974 et alors que la Force aéronavale nucléaire [FANu] venait d’être créée, il fut alors question de remplacer le Foch et le Clemenceau par deux porte-avions à propulsion nucléaire. La telle décision fut même prise lors du Conseil de défense du 23 septembre 1980. La suite est connue : les restrictions budgétaires et la fin de la Guerre Froide eurent raison de ce projet… Et, seul le « Charles de Gaulle » a été construit.

Depuis, le projet de revenir à un format de deux porte-avions revient régulièrement dans le débat. Avancé au moment de l’élaboration de la Loi de programmation militaire 2003-08, il fut renvoyée à plus tard. Puis, alors qu’une coopération avec le Royaume-Uni était évoquée, il fut confirmé par le président Sarkozy en 2007 [et par Hervé Morin, alors ministre de la Défense, pour qui la décision était même « actée »].

Finalement, les crises financières qui éclatèrent à partir de 2008 en eurent raison. Et, d’ailleurs, même si elle profita d’un plan de relance de l’économie pour se doter d’un troisième porte-hélicoptères amphibie [le Dixmude], la Marine nationale dut se plier à un nouvelle réduction de son format, le nombre de ses navires dits de premier rang devant alors passer de 18 à 15.

Cela étant, les chefs d’état-major de la Marine [CEMM] qui se sont depuis succédé ont quasiment tous plaidé en faveur d’un second porte-avions [et aussi pour plus de frégates]. Sans succès jusqu’à présent, même si il leur a été régulièrement répondu que la question « restait ouverte ».

Cependant, avec le programme PA NG [porte-avions de nouvelle génération], certains voient l’occasion de trancher [enfin] le débat. En juillet 2020, les sénateurs Olivier Cigolotti et Gilbert Roger, avancèrent plusieurs arguments en faveur d’un second porte-avions [économies d’échelle, prise en compte de possibles « imprévus », comme l’épidémie de covid-19 à bord du Charles de Gaulle ou l’incendie du sous-marin Perle et, surtout, nécessité de disposer d’une d’une permanence d’alerte, à ne pas confondre avec le concept de permanence à la mer].

« Ce second porte-avions permettrait d’être plus réactif, plus résilient, d’agir davantage dans la durée », avaient-ils résumé.

En outre, l’évolution de la situation internationale, marquée par le retour de la guerre en Europe et les tensions dans la région Indo-Pacifique, donne un argument supplémentaire à la construction de deux PA NG. C’est, en tout cas, ce qu’avance le député Yannick Chenevard [Renaissance], dans son avis budgétaire sur les crédits de la Marine nationale pour 2023.

Estimant que la France sera durablement exposée à des menaces qui ne pourront que s’accentuer dans les années à venir, le député plaide pour donner une « nouvelle ambition » à la Marine ». Mais d’abord, il faudrait, selon lui, répondre à trois questions : « que doit-elle être capable de faire? », « doit-elle être capable de le faire seule ou en coopération? » et, enfin, « quels doivent être ses moyens? »

Selon M. Chenevard, « la réponse à cette dernière question, qui implique des choix capacitaires et technologiques structurants, est évidemment étroitement dépendante de celle apportée aux deux précédentes », qui seront probablement tranchées par la prochaine revue nationale stragique, laquelle sera dévoilée par le président Macron le 9 novembre, à Toulon [faut-il y voir un signe?].

Quoi qu’il en soit, pour le député, le format actuel de la flotte de surface, qui repose sur un porte-avions et quinze frégates [mais pas seulement] est insuffisant. « Il n’est clairement pas adapté à la menace actuelle et encore moins future, tout en exposant la Marine, dans l’accomplissement de ses missions, à une suractivité qui épuise marins et matériels », soutient-il.

Aussi, « dans ces conditions, le retour au format d’avant le livre blanc de 2013 – dix-huit frégates de premier rang – apparaît comme le strict minimum » et « au-delà des frégates, l’une des questions majeures à trancher dans les prochaines années sera celle d’un deuxième porte-avions identique au PA-NG », avance M. Chenevard.

« Les porte-avions sont en train de retrouver leur rôle dans le combat naval. Le réarmement naval actuel recentre en effet le porte-avions sur son rôle tactique de ‘système d’armes de supériorité navale’, notamment par sa capacité à frapper vite et loin des objectifs navals. Il n’est pas aujourd’hui possible, dans une guerre de haute intensité face à un ennemi puissamment armé, de remporter un combat naval sans supériorité aérienne », relève le député, reprenant ainsi les arguments développés par l’amiral Pierre Vandier, l’actuel CEMM.

En outre, ajoute-t-il, le porte-avions est « un outil stratégique sans équivalent au service d’une volonté politique pour peser dans les crises », dans la mesure où « l’appareillage du groupe aéronaval est un message puissant qui peut être mis en œuvre dans des délais relativement courts ».

Ceci ayant été rappelé, M. Chevenard souligne que disposer d’un seul porte-avions revient à « ne pouvoir l’utiliser qu’entre 65 et 70 % du temps compte tenu de ses opérations régulières de maintenance [arrêt technique majeur de deux ans, arrêts intermédiaires de six mois…] » et qu’une partie de ce temps doit être dédiée à la formation et à la qualification de l’équipage et des pilotes.

« Pour ces raisons, un seul porte-avions n’est pas suffisant et notre pays […] se doit de retrouver la capacité qui était la sienne jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire deux porte-avions. Toutefois, votre rapporteur tient à préciser qu’il s’agirait bien de deux porte-avions et non de deux groupes aéronavals, même si quelques appareils supplémentaires, voire une flottille de plus, auraient évidemment toute leur place dans cette configuration », écrit le député.

Selon lui, la décision de construire un second PA-NG ne doit pas être repousée au-delà de 2027, notamment pour des raisons financières et industrielles. « Plus la commande » d’un deuxième navire « sera proche de celle du premier, plus il sera possible de faire des économies d’échelle et, par conséquent, de réduire son prix mais également le coût du Maintien en condition opérationnelle », argumente M. Chevenard.

Enfin, celui-ci a produit un autre argument « fort ». Étant donné que le Charles de Gaulle quittera le service actif en 2038, un « tuilage » devra être fait avec le PA-NG, ce qui nécessitera deux équipages vers 2035.

« Pendant deux ou trois ans, notre pays disposera ainsi de deux porte-avions et de deux équipages mais à l’issue de ce tuilage, une fois le Charles-de-Gaulle retiré du service, l’un d’entre eux se retrouvera affecté ailleurs, à moins de disposer d’un deuxième porte-avions », en conclut le député.

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