Économie de guerre : Un député appelle à cesser de faire adopter aux armées des normes issues du monde civil

Alors qu’il n’est désormais plus quasiment question que d’économie de guerre, est-il opportun de faire adopter aux forces armées des normes issues du monde civil, comme par exemple la réglementation européenne REACH pour les composants pyrotechniques des missiles? Dans l’avis budgétaire sur les crédits du programme 146 « Équipements des forces – Dissuasion » qu’il vient de remettre au nom de la commission de la Défense, le député Mounir Belhamiti [Renaissance] estime en tout cas que le temps est venu d’y mettre le holà.

En effet, il ressort des auditions qu’il a menées pour les besoins de son rapport que « l’inflation normative et les contraintes entraînées par celle-ci sur le développement des programmes d’armement génèrent des coûts et des délais supplémentaires… Et cela alors que, pour la plupart, ces normes « ne sont pas nécessairement adaptées aux équipements militaires ».

Et de donner quelques exemples assez éloquents. « Est-il indispensable d’équiper le canon Caesar de la solution AdBlue, additif anti-pollution? », a ainsi demandé le député, qui s’interroge aussi sur la « certification de nature civile pour le parachutage militaire depuis un A400M » ou encore sur la qualification du drone tactique Patroller [destiné à l’armée de Terre] sous la norme dite Stanag 4671.

Sur ce dernier point, celle-ci vise à permettre aux aéronefs télépilotés d’opérer dans l’espace aérien d’autres membres de l’Otan. Ce qui n’est pas forcément inutile… En revanche, d’autres réglementations, comme l’arrêté du 24 décembre 2013, lequel impose « que tout drone de plus de deux kilogrammes soit certifié dès lors qu’il est opéré en dehors de la portée visuelle de son téléopérateur ».

Selon le M. Belhamiti, une telle exigence « conduit à devoir appliquer un processus de certification complet pour des drones dont la mission ne les conduira à survoler aucune population, telles que par exemple les drones utilisés par la marine ».

Toujours dans le même domaine, le député appelle à revoir les règles de navigabilité qui, issues du monde civil, s’imposent aux aéronefs militaires, comme le prévoit un décret publié en avril 2013 [et ayant depuis fait l’objet de six arrêtés].

« Cette réglementation est génératrice d’une grande complexité en ce qu’elle a été appliquée rétroactivement à des aéronefs qui n’étaient pas conçus initialement pour répondre à de telles exigences. Ainsi, un grand nombre de pièces d’aéronefs ne sont pas conformes aux exigences de la réglementation navigabilité », souligne M. Belhamiti.

Ainsi, s’agissant des seuls Mirage 2000, 215’000 pièces – neuves – seraient dévenus inutilisables depuis que cette réglementation est entrée en vigueur. « Cette immobilisation des stocks conduit à multiplier les prélèvements des pièces compatibles avec la réglementation navigabilité sur d’autres aéronefs, ce qui affecte au final la disponibilité globale des avions », note le député.

Aussi, avance-t-il, cet exemple est « symptomatique des contraintes que nous nous sommes auto-imposées, et ce pour une faible valeur ajoutée » étant donné qu’il y a « fort à parier que le Mirage 2000 volerait dans des conditions de sécurité appropriées avec ses 215 000 pièces non reconnues par la nouvelle réglementation ».

Selon M. Belhamiti, si de telles normes pouvaient se justifier quand il s’agissait de « profiter des dividendes de la paix », elles constituent désormais un « véritable frein pour la mise en place d’une économie de guerre ». Et d’insister sur le fait que ces « contraintes auto-imposées » et souvent non justifiées, génèrent « non seulement des délais supplémentaires – plus d’une année pour la certification de certains drones par exemple –, mais constitue également un facteur de coûts non négligeable ».

Aussi plaide-t-il pour une réforme qui donnerait plus d’autonome aux « autorités d’emploi », en particulier en matière de navigabilité aérienne, les forces armées étant les mieux placées pour « décider si un aéronef est apte au vol, nonobstant le fait que certains éléments conformes dudit aéronef ne soient pas strictement conformes aux exigences de la réglementation ».

Plus généralement, le député estime nécessaire de « modifier notre culture du risque », en « passant du ‘zéro risque’ à une approche fondée sur une maîtrise raisonnée du risque ». En clair, il faudrait « réinterroger les contraintes imposées lors de la qualification du matériel à l’aune des conditions d’emploi dudit matériel », précise-t-il, soulignant que les travaux sur l’économie de guerre sont une « véritable opportunité pour changer de paradigme » et « mettre fin à cette inflation normative ».

Cela étant, le problème soulevé par le parlementaire n’est pas nouveau… Et il avait même été évoqué, en des termes plus généraux, par la Revue stratégique actualisée [en janvier 2021, ndlr], celle-ci ayant souligné que les armées étaient de « façon croissante assujetties à des normes de droit qui ignorent parfois la singularité du métier militaire ».

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