Washington confirme son intention d’annuler le projet de missile de croisière nucléaire SLCM-N

Le 27 octobre, les États-Unis ont publié les versions non classifiées de deux documents attendus depuis 2018 : l’un sur leur nouvelle stratégie de défense nationale, l’autre sur l’évolution de leur posture nucléaire [Nuclear Posture Review, NPR]. Un troisième, relative à la défense antimissile, a également rendu public.

Ainsi, il y a quatre ans [donc durant le mandant de Donald Trump], la stratégie de défense nationale américaine avait mis l’accent sur la « compétition » avec la Chine et la Russie, décrites comme des « puissances révisionnistes » car cherchant à façonner un monde « compatible avec leurs modèles autoritaires ». En conséquence, les opérations de contre-terrorisme devaient passer au second plan, la priorité devant alors aller à la préparation au combat pour d’éventuels « conflits majeurs ».

Dans les grandes lignes, et si elle a une part de nouveauté en prenant en compte la « menace émergente » que constituerait le « changement climatique », la dernière version de ce document ne remet pas en cause ce constat… Si ce n’est que, désormais, le Pentagone considère que la Chine « présente le défi le plus fondamental et le plus systémique, tandis que la Russie représente une menace aiguë pour les intérêts nationaux des États-Unis à l’étranger et sur le territoire américain ».

Ainsi, cette nouvelle stratégie de défense souligne que les « efforts coercitifs et de plus en plus agressifs de la Chine pour refaçonner la région Indo-Pacifique et le système international conformément à ses intérêts et ses préférences autoritaires » constituent le « danger le plus grave pour la sécurité des États-Unis ». Et cela d’autant plus qu’elle est « le seul concurrent […] qui a de plus en plus de moyens pour le faire ».

En outre, poursuit-elle, la « rhétorique de plus en plus provocatrice et les activités coercitives de la Chine à l’encontre de Taïwan sont déstabilisantes, risquent d’entraîner des malentendus, et menacent la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan ». Aussi, et alors que Pékin est en train d’augmenter significativement son arsenal nucléaire, la stratégie américaine visera à « empêcher » sa « domination sur des régions clés tout en protégeant le territoire américain et en renforçant un système international stable et ouvert ». Cela étant, le document précise qu’un conflit avec la Chine n’est pas inéluctable.

Quant à la Russie, la nouvelle stratégie de défense américaine avance que, « contrairement à la Chine, elle « ne représente pas une menace systémique pour les États-Unis à long terme », seulement une « menace immédiate et vive pour [les] intérêts et [les] valeurs des États-Unis. C’est donc en cela qu’elle pose un risque « aigu », comme le démontre son « invasion injustifiée de l’Ukraine ». Invasion qui, toujours selon ce document, « souligne que le danger nucléaire persiste et pourrait s’aggraver, dans un contexte géopolitique de plus en plus concurrentiel et instable ».

D’ailleurs, ce point est repris dans la NPR version 2022. « D’ici les années 2030, les États-Unis seront, pour la première fois de leur histoire, confrontés à deux grandes puissances nucléaires considérés comme concurrents stratégiques et adversaires potentiels », affirme ce document, en faisant une allusion au développement rapide de l’arsenal de la Chine, celle-ci étant soupçonné d’avoir l’intention de se doter « d’au moins 1’000 têtes nucléaires d’ici la fin de la décennie ».

Au passage, le Pentagone adressé un message ne souffrant aucune ambiguïté à Pyongyang. « Toute attaque nucléaire de la Corée du Nord contre les États-Unis ou ses alliés et partenaires sera inacceptable et entraînera la fin du régime [nord-coréen]. Il n’y a aucun scénario dans lequel le régime de Kim [Jong-un] pourrait utiliser des armes nucléaires et survivre », prévient la NPR.

Cela étant, la version 2018 de ce document revient sur des décisions qui avaient été prises par l’administration Trump. Comme celle visant à doter les forces américaines d’armes nucléaires de faible puissance, afin de leur permettre de faire jeu égal avec leurs homologues russes, lesquelles développaient alors « un ensemble important, varié et moderne de systèmes non stratégiques » pouvant « être dotés de charges nucléaires ou conventionnelles » et n’entrant pas dans le cadre du « traité de désarmement New START » puisque celui-ci ne concerne que les armes stratégiques ».

« La stratégie et la doctrine russes mettent l’accent sur les utilisations coercitives et militaires potentielles des armes nucléaires. Elle évalue à tort que la menace d’une escalade nucléaire ou d’un premier usage effectif des armes nucléaires servirait à ‘désamorcer’ un conflit à des conditions qui seraient favorables. Ces perceptions erronées augmentent les risques d’erreur de calcul et d’escalade », avait justifié le Pentagone, à l’époque.

Désormais, et contre l’avis des principaux chefs militaires américains, l’administration Biden entend annuler le programme SLCM-N [sea-launched nuclear cruise missile], lequel devait permettre de doter les sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] et certains navires de surface de l’US Navy avec des missiles de croisière munis d’une têtre nucléaire de faible puissance. À noter que cela avait déjà été le cas par le passé, avec le TLAM-N, basé sur le Tomahawk.

Ainsi, les opposants au SLCM-N, que l’on trouve surtout parmi les élus du Parti démocrate, font valoir que ce programme est coûteux [10 milliards de dollars] et qu’il nécessitera des investissements supplémentaires pour assurer la sécurité de ces missiles à bord des navires où ils seront installés. Qui plus est, cela rendrait plus difficiles les escales dans certains pays de l’Indo-Pacifique, en particulier le Japon et la Nouvelle-Zélande, qui n’autorisent pas la présence d’armes nucléaire sur le sol [bien qu’il y ait eu des exceptions…. fort discrètes].

Ensuite, le SLCM-N pourrait justement donner lieu à des « erreurs de calcul » puisque son mode de lancement serait identique à celui de missiles conventionnels, comme le Tomahawk [à noter que, par le passé, l’US Navy a mis en oeuvre une version nucléaire de cet engin, le TLAM-N]. Un autre point soulevé porte sur le calendrier de sa mise en service, prévue en 2035. Soit bien après la période de tensions que beacoup craignent entre 2022 et 2027.

Enfin, l’US Navy a déjà mis en service une arme nucléaire de faible puissance, des missiles balistiques Trident dotés chacun d’une tête W76-2 de 5 kilo-tonnes ayant été installés en 2020 à bord du sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] USS Tennessee.

Cela étant, le SLCM-N a aussi ses partisans, à commencer par le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées américain. « Ma position […] n’a pas changé. […] Mon opinion est que ce président [Joe Biden] comme n’importe quel autre président, mérite d’avoir à sa disposition plusieurs options pour assurer la sécurité nationale », avait-il expliqué lors d’une audition parlementaire, en mai dernier.

Patron de l’U.S. Strategic Command, l’amiral Charles Richard avait aussi défendu le SLCM-N, voyant dans la guerre en Ukraine des arguments supplémentaires pour le maintenir.

« La situation actuelle en Ukraine et la trajectoire nucléaire de la Chine m’ont convaincu de l’existence d’un écart en termes de dissuasion et de réassurance [des alliés des États-Unis] », avait en effet plaidé l’amiral Richard, dans une lettre adressée au Congrès. Aussi, une capacité non balistique, de faible puissance « fournirait des options flexibles et compléterait les celles qui existent déjà », avait-il conclu.

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