La Marine nationale va-t-elle reprendre de l’épaisseur dans le cadre de la prochaine Loi de programmation militaire?

Depuis maintenant une quinzaine d’années, les chefs d’état-major qui se sont succédé à la tête de la Marine nationale ont tous fait peu ou prou le même constat : le format de la flotte française est sous-dimensionné par rapport à son contrat opérationnel, avec, en prime, des risques de « ruptures temporaires de capacités ». Et cela alors que la France possède le second domaine maritime mondial…

Dans le même temps, d’autres pays ont massivement investi dans leurs forces navales, comme la Chine, qui produit tous les quatre ans, en tonnage, l’équivalent de la flotte française. En outre, la « compétition » entre puissance allant crescendo, le risque de confrontation s’accroît, d’autant plus que, comme l’a récemment souligné l’amiral Pierre Vandier, l’actuel chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], « nous sommes en train de passer à une mer vecteur de souveraineté à une mer objet de souveraineté » et « on assiste à véritable poussée de la prédation ».

D’ailleurs, il en avait prévenu les élèves de l’École navale, dès 2020. « Aujourd’hui, vous entrez dans une marine qui va probablement connaître le feu à la mer, vous devez vous y préparer! », leur avait-il lancé. En outre, lors d’une audition parlementaire, en juillet dernier, il a expliqué qu’il fallait « avoir à l’esprit que, pour un navire de combat, la différence entre basse et haute intensité ne tient qu’aux ordres reçus ».

Certes, l’actuelle Loi de programmation militaire [LPM] a permis de lancer le renouvellement de nombreuses capacités et de préparer l’avenir, avec les études sur le porte-avions de nouvelle génération [PANG] ainsi que sur le sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération [SNLE 3G]. Pour autant, la question du format de la Marine nationale n’a pas été abordée… Et des ruptures capacitaires temporaires sont même à craindre pour certains segments, comme celui des sous-marins nucléaire d’attaque [SNA], avec quatre exemplaires disponibles sur six, ou encore celui des patrouilleurs de haute-mer.

Qu’en sera-t-il lors de la prochaine LPM, actuellement en cours de préparation? Dans les récents entretiens qu’il a donnés à la presse spécialisée [DSI, Defense News], l’amiral Vandier a donner le sentiment de botter en touche au moment d’aborder la question du format de la Marine, préférant insister sur les avancées permises par la LPM 2019-25.

« Le Livre blanc de 2013 a fixé le format de la marine pour 2030, qui reste la référence : 15 frégates – 8 FREMM, 2 frégates de défense antiaérienne [FDA] et 5 FDI –, la capacité d’opérer sur deux à trois théâtres simultanés et une mission-cadre. Savoir s’il est suffisant est une question qui n’est pas de mon ressort et à laquelle les travaux de la future LPM devront répondre », avait-il d’ailleurs dit aux députés, en juillet.

Cela étant, dans une note récemment publiée par l’Institut français des relations internationales [IFRI], une révision à la hausse du format de la flotte française est une nécessité étant donné que, dans un contexte de haute intensité, « toute perte de bâtiment aurait une répercussion stratégique excédant ses effets tactiques ».

Et la note d’ajouter : « Le taux d’attrition observé dans le conflit ukrainien suggère ainsi qu’il est nécessaire d’adapter le format de la Marine nationale si elle veut être apte à faire face à l’hypothèse de la haute intensité. Un tel objectif dans un budget contraint demande également de faire preuve d’innovation, en identifiant des effets de levier améliorant les plateformes existantes avec de nouveaux capteurs et effecteurs tels que les drones ou les armes à énergie dirigée ».

S’agissant de l’innovation, l’amiral Vandier ne dit pas autre chose… Et, au-délà de cet aspect, il estime qu’un effort est à faire en matière de munitions complexes, dont les « stocks doivent être adaptés au contexte plus exigeant et incertain qui se dessine » et qu’il faut aussi « garantir la capacité » de la Marine « à durer au combat », ce qui passe par des marins bien formés et entraînés.

« Bien que les facteurs technologiques jouent un rôle important dans le combat naval, les éléments de la victoire ne sont pas seulement liés à la qualité et à la quantité des navires. Comme l’a dit […] Alfred Thayer Mahan : ‘de bons marins avec de mauvais navires valent mieux que de mauvais marins avec de bons navires’. Donc, le but est d’avoir de bons marins sur de bons navires », a résumé le CEMM dans les colonnes de Defense News.

Mais il a également a estimé qu’il « y a un enjeu à épaissir, là où il est intelligent et possible de le faire ».

Or, ces derniers mois, quelques parlementaires ont fait des propositions. Ancien député ayant coordonné le groupe de travail « Défense » au sein du parti LREM durant l’élection présidentielle, Fabien Gouttefarde en avait avancé quelques unes : acquérir un septième SNA de type Suffren, commander cinq patrouilleurs océaniques en plus des dix déjà prévus, conserver cinq frégates légères furtives modernisées et s’associer au programme italien de « destroyers » DDX en vue d’en doter la Marine de deux exemplaires. Au Sénat, un rapport a aussi plaidé pour faire l’acquisition de cinq patrouilleurs outre-mer [POM] supplémentaires et d’hydroglisseurs, pour compenser la perte capacitaire induite par le retrait des BATRAL.

De telles propositions pourraient permettre de bénéficier d’un effet de série, d’autant plus que les industriels français sont invités à passer en mode « économie de guerre ». À noter, d’ailleurs, que Naval Group a lancé le plan C20-F-30, qui vise à réduire de six mois les délais de construction des corvettes Gowind et des frégates de défense et d’intervention [FDI]. Ce qui, note Le Figaro, « revient à doubler la cadence en produisant deux grands bateaux en parallèle par an ».

En tout cas, à l’heure où le budget des armées va atteindre un niveau « historique » en 2023, avec 43,9 milliards d’euros [soit +7%], et qu’il devrait encore augmenter les années suivantes, il serait tout de même assez piquant de voir la France disposer d’une marine qui n’aura jamais été aussi petite depuis 1945…

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