La Marine nationale va inspecter les câbles sous-marin de communication pour prévenir le risque de sabotage
Depuis qu’il a été vu au large du Contentin, après avoir été repéré, quelques jours plus tôt, près des câbles sous-marins de communication AEConnect-1 et Celtic Norse, qui relient respectivement l’Irlande aux États-Unis et à l’Écosse, le navire « océanogaphique » russe « Yantar » se fait très discret, son Système d’identification automatique [AIS, pour Automatic Identification System], dont les données permettent de suivre le trafic maritime, n’étant plus activé.
Toutefois, selon des images obtenues en mars dernier par le satellite Sentinel-2, le Yantar aurait appareillé de la base navale d’Olenya [près de Mourmansk, ndlr], laquelle abrite la Direction principale de la recherche en eaux profondes [GUGI] de la marine russe. Qu’a-t-il fait depuis?
Doté d’un mini-sous-marin de type AS-37 [Projet 16810] capable de plonger à 6’000 mètres de profondeur, le Yantar est soupçonné d’espionner les câbles sous-marin de communication, voire de chercher à les saboter. Ce qui est une préoccupation de premier plan, quand on sait que l’essentiel des communications mondiales [97%] transite par ceux-ci. En outre, ils sont aussi susceptibles d’être utilisés pour détecter les passage de sous-marins, comme l’avait expliqué l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale, lors d’une audition parlementaire.
« Nous nous sommes aperçus que des étrangers montraient un intérêt particulier à naviguer au large de nos côtes, juste à la verticale de câbles sous-marins. […] Une douzaine de gros câbles sont actuellement déployés sur les fonds sous-marins […] en Atlantique. […] Il y a là des enjeux en termes de renseignement et de surveillance de fonds sous-marins, car ces câbles peuvent être utilisés aussi à des fins de détection », avait effet affirmé l’amiral Vandier, à l’Assemblée nationale, en juin 2021.
D’une manière générale, la protection de ces câbles sous-marins n’est évoquée que du bout des lèvres par les autorités françaises, étant la sensibilité du sujet. Cela étant, ce sujet est l’une des priorités de la stratégie pour les fonds marins, qu’elles ont dévoilée en février dernier. « Nous devons être en mesure de renforcer la protection et la sécurité des câbles de communication qui alimentent la métropole et l’outre-mer, mais aussi les infrastructures de transport d’énergie ou encore des ressources potentielles qui sont situées dans les fonds de notre zone économique exclusive », avait ainsi affirmé Florence Parly, alors ministre des Armées.
Le sabotage apparent des gazoducs NordStream 1 et NordStream 2, la semaine passée, a visiblement remis la question de la protection des câbles sous-marins de communication au premier plan, sur fond de tensions vives avec la Russie. D’où, selon des informations d’Europe 1, la décision du président Macron de mener une « inspection de sécurité » de « toutes les infrastructures françaises », soit une trentaine de câbles. Et il suffirait qu’au moins quatre d’entre eux soient sabotés simultanément pour « paralyser » la France.
Évidemment, il n’est pas possible d’avoir un oeil sur tous les câbles sous-marin étant donné leur longueur. Aussi, une surveillance de premier niveau est d’abord exercée par les entreprises privées spécialisées, comme Orange Marine et Alcatel Submarine Network. Leur rôle est d’effectuer des contrôles réguliers afin de déceler et de localiser au plus vite d’éventuelles anomalies, grâce à des « capteurs de sécurité ».
La Marine nationale assure quant à elle une « surveillance renforcée », ce qui passe, entre autres, par des prises de vue d’aéronef de navires câbliers ou suspects ainsi que par des écoutes sous-marines. Le cas échéant, avait expliqué le magazine Cols Bleus, en 2018, elle dispose de « moyens pour inspecter les fonds marins, grâce à ses chasseurs de mines, capables d’identifier et de préciser les caractéristiques d’objets douteux ».
Et, si nécessaire, elle peut « déployer la cellule ‘Plongée humaine et intervention sous la mer’ [CEPHISMER], qui met en oeuvre les moyens humains et matériels nécessaires pour effectuer un diagnostic plus poussé et traiter d’éventuelles menaces ». En outre, il peut éventuellement être fait appel à l’IFREMER, qui possède des robots et des mini-sous-marins pouvant intervenir dans les grandes profondeurs. Des capacités dont il est prévu de doter la Marine nationale prochainement.
Un autre moyen de surveillance consiste à collecter des renseignements via l’espace, l’idée étant de repérer des navires suspects, comme le Yantar. C’est d’ailleurs tout l’intérêt des nano-satellites mis au point par l’entreprise française Unseenlabs, ceux-ci étant capables de détecter et de caractériser un bateau selon les émissions électromagnétiques de ses systèmes électroniques embarqués. Seulement, cette méthode a une limite : elle ne permet évidemment pas de localiser les sous-marins.
Or, la Russie dispose deux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] transformés en navires espions susceptibles de s’en prendre aux câbles de communications grâce aux mini-sous-marins qu’ils mettent en oeuvre : le BS-64 Podmoskovye et du BS-136 Orenburg. D’ailleurs, l’un d’eux aurait repéré par la Marine nationale dans le golfe de Gascogne, en 2016. À noter que les États-Unis ne sont pas en reste, l’US Navy disposant elle aussi de « moyens spéciaux », comme le sous-marin USS Jimmy Carter.
Photo : CEPHISMER / Marine nationale