Les exportations françaises d’armements ont plus que doublé en 2021, malgré une « concurrence resserrée »

En 2019, si le montant total des prises de commandes auprès de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française avait atteint 8,3 milliards d’euros, c’était en grande partie grâce au secteur naval, porté notamment par le contrat relatif au remplacement des chasseurs de mines des marines belge et néerlandaise ainsi que par la commande de deux corvettes de type Gowind par les Émirats arabes unis.

Cela étant, par rapport à l’année précédente, la valeur totale des contrats obtenus par la BITD française était en recul, 2018 ayant été un « très bon cru », avec 9,1 milliards de prises de commandes [alors en hausse de +30%]. Cependant, dans le rapport qu’il avait remis au Parlement, le ministère des Armées ne manqua pas de souligner que le « résultat obtenu en 2019 » était « supérieur à la moyenne des années hors contrat Rafale ».

Puis, et même si les dépenses militaires continuèrent à progresser au niveau mondial, la pandémie de covid-19 compliqua la prospection et les discussions commerciales [avec des salons de l’armement annulés, par exemple]. Aussi, le niveau des prises de commandes chuta à 4,9 milliards d’euros. Pour autant, d’autres pays, comme les États-Unis ou Israël, réussirent à tirer leur épingle du jeu, les ventes d’équimements militaires américains ayant progressé de +2,8% durant cette période… grâce au volontarisme de l’administration Trump dans ce domaine ainsi qu’aux facilités de paiement accordées aux pays clients.

« Les exportations s’apprécient dans la durée, car le marché de l’armement se caractérise par le poids des grands contrats. Ces derniers peuvent, à quelques semaines près, se trouver comptabilisés sur une année plutôt que la suivante. Les résultats d’une année isolée ne suffisent pas à tirer des enseignements, en raison du poids prépondérant de ces contrats majeurs », fit alors valoir le ministère des Armées, dans l’édition 2021 de son rapport au Parlement.

Généralement, ce document est remis aux sénateurs et aux députés au mois de juin. Étant donné le calendrier électoral [présidentielle en avril et législatives en juin, ndlr], il vient seulement d’être rendu public. Et comme on pouvait s’y attendre, après les contrats « Rafale » signés par l’Égypte, la Grèce et la Croatie, le volume des prises de commande a significativement augmenté, pour atteindre 11,7 milliards d’euros.

Ces prises de commandes concernent essentiellement deux zones géographiques : le Proche et Moyen-Orient [44% du total, grâce à l’Égypte et à l’Arabie Saoudite] et l’Europe [38%]. La part de l’Afrique subsaharienne est quasiment anecdotique [36,9 millions d’euros de contrats…], de même que celle de l’Amérique du Sud [près de 60 millions d’euros].

À noter que, au-delà des commandes majeures, une part non négligeable des exportations françaises repose sur les contrats d’un montant inférieur à 200 millions d’euros [ils représentent 4,9 milliards au total].

« Pour une part, [ce socle] correspond à des activités de maintien en condition opérationnelle, de formation ou de modernisation qui découlent de grands contrats passés dans la décennie précédente, dont on mesure ainsi le bénéfice sur le long terme. Pour une autre part, il correspond à des matériels moins emblématiques, sur un marché qui est particulièrement soumis à la concurrence, notamment celle à ‘bas coût’ proposée par les exportateurs émergents », explique le rapport 2022 au Parlement.

« En 2021, les prises de commandes des entreprises françaises à l’exportation ont atteint 11,7 Md€, soit plus du double de l’année précédente. Ce résultat compte parmi les meilleures
années en termes de performance à l’export, avec les années exceptionnelles que furent 2015 et 2016. Ce bilan permet à la France d’asseoir encore davantage sa position parmi les trois
premiers exportateurs mondiaux », souligne le ministère des Armées. Soit derrière les États-Unis et la Russie

La BITD française pourra-t-elle maintenir cette position à l’avenir? Cela ne fera aucun doute à très court terme, étant donné que plusieurs commandes importantes [80 Rafale pour les Émirats arabes unis, 3 Frégate de défense et d’intervention pour la Grèce, etc] ont d’ores été déjà notifiées. Après, cela risque de se compliquer en raison d’une concurrence de plus en plus « resserrée », note le rapport.

Si leurs exportations d’équipements militaires ont reculé de 21% en 2021, les États-Unis conserveront leur position dominante, d’autant plus que bon nombre de pays européens se tournent vers leurs industriels pour moderniser leurs forces armées [et le rythme s’est accéléré depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie].

Justement, s’agissant de l’industrie russe de l’armement, celle-ci peut s’attendre à des lendemains difficiles, suggère le rapport du ministère des Armées. Et cela alors que, en août, le directeur de l’agence fédérale russe de la coopération en armement, Dmitri Chougaev, a affirmé que Moscou avait signé 16 milliards de dollars de nouveaux contrats d’exportation d’équipements militaires en 2022…

« La Russie […] propose auprès de nombreux pays, en particulier au Moyen-Orient, la maîtrise d’un matériel ‘combat proven’ [éprouvé au combat, ndlr], à des prix très compétitifs, qui fait la part belle au domaine aéronautique et pourvu de produits qui font référence à l’export pour certaines capacités [sol air longue portée par exemple], tandis que d’autres, à défaut d’être exportés, constituent une sorte de vitrine d’une prétendue avance sur le camp occidental [missiles hypersoniques] », relève le rapport.

« Toutefois, l’effet de la guerre en Ukraine est difficilement prévisible : l’isolement de la Russie pourrait la priver de certains de ses marchés export [à cause, par exemple, de la loi américaine CAATSA, ndlr], elle devra par ailleurs renouveler en priorité les matériels perdus au combat et devra enfin parvenir à mobiliser les ressources et approvisionnements nécessaires dans un contexte de sanctions massives », poursuit-il.

Par ailleurs, et malgré les progrés de la coopération européenne en matière de défense, la « concurrence intraeuropéenne ne faiblit pas », note le ministère des armées. « Les exportateurs européens se trouvent régulièrement en situation de concurrence frontale et cette tendance est renforcée par la nécessité pour les entreprises de trouver de nouveaux débouchés commerciaux en ciblant en particulier les marchés émergents les plus porteurs. Cette concurrence accrue amène également les États à adapter leur stratégie à l’export », observe-t-il.

En outre, poursuit-il la Chine entend se « positionner durablement » sur le marché de l’armement, dans une logique de « montée en puissance » de ses forces armées.

« Les entreprises chinoises ont fortement bénéficié des programmes de modernisation de l’Armée populaire de [libération] et de la hausse du budget de défense. [La Chine] s’appuie également sur un vaste marché intérieur qui lui permet de lancer seule ses propres développements dans tous les domaines […] et développe ses exportations de matériels de défense et de sécurité en poursuivant notamment des efforts de recherche et développement importants, tout en cherchant à se doter de technologies de niche », explique le document.

Enfin, il faut également prendre en considération la concurrence israélienne, très performante sur certains segments de haute techonologie ainsi que les ambitions de la Turquie [qui a connu « l’une des progressions les plus spectaculaires enregistrées parmi les 15 principaux exportateurs mondiaux » lors de la dernière décennie] et celles de la Corée du Sud, qui prend le même chemin, après avoir décroché plusieurs importants contrats en Pologne [obusiers K9, chars K2, chasseur F/A-50], en Australie et peut-être, demain, au Royaume-Uni [K9].

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]