Défense : La France veut créer une « intimité opérationnelle » avec l’Australie

Il y a maintenant près d’un an, l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis annoncèrent leur intention de former l’alliance AUKUS afin de contrer les visées chinoises dans la région Indo-Pacifique, après en avoir discuté pendant des mois dans le plus grand secret. Et la première conséquence de ce pacte fut la décision de Canberra d’annuler la commande de douze sous-marins Shortfin Barracuda commandés auprès du français Naval Group afin de se procurer huit modèles à propulsion nucléaire… Paris ayant dénoncé un « coup dans le dos », l’affaire vira à la brouille diplomatique, avec rappel des ambassadeurs « pour consultations » à la clé [à noter que celui en poste à Londres ne fut pas concerné…].

Les tensions diplomatiques entre la France et les États-Unis ne durèrent pas. Fin octobre 2021, à l’issue d’une rencontre avec le président Macron à la Villa Bonaparte, siège de l’ambassade de France auprès du Vatican, le chef de la Maison Blanche, Joe Biden, reconnut une « maladresse » [ce qui ne mangeait pas de pain…]. Et « nous avons clarifié ce que nous avions à clarifier », commenta le locataire de l’Élysée.

S’agissant de l’Australie, il aura fallu attendre les élections de mai dernier et la défaite de Scott Morrison, alors Premier ministre, pour voir une amorce de réconciliation avec Paris. Nouveau chef du gouvernement australien, Anthony Albanese, fit part de son intention de « restaurer » la confiance avec la France. Et d’y joindre le geste à la parole, en agréant un accord d’indemnisation d’un montant de 550 millions d’euros avec Naval Group.

Puis, début juillet, lors d’une visite officielle à Paris, MM. Macron et Albanese se sont mis d’accord pour relancer la coopération militaire entre la France et l’Australie et donc remettre les compteurs à zéro. Et, ce 1er septembre, une semaine après avoir rendu visite au détachement de l’armée de l’Air & de l’Espace actuellement engagé dans l’exercice Pitch Black 22, organisé à Darwin, le ministre australien de la Défense, Richard Marles, a été reçu par Sébastien Lecornu, son homologue français, à Brest.

Visiblement, l’affaire des sous-marin est désormais définitivement soldée. Lors de la conférence de presse donnée à l’issue de son entretien avec M. Marles, le ministre français s’est attaché à rappeler ce qui rapproche la France de l’Australie [les combats de la Somme durant la Première Guerre Mondiale, la proximité avec la Nouvelle Calédonie, les valeurs de la démocratie libérale, etc] et non ce qui les sépare.

« Il y a une relation d’amitié entre la France et l’Australie qui, comme toute relation d’amitié, a pu connaître des hauts et des bas. Je crois pouvoir dire que nous sommes dans un réchauffement spectaculaire de [notre] relation. Et je dirai même mieux : au-delà de l’amitié, désormais, nous avons le devoir impérieux de créer une intimité opérationnelle entre [nos] deux armées. Une intimité opérationnelle parce que précisément nous sommes riverains », a fait valoir le ministre français des Armées.

« La France est unique pour l’Australie » d’autant plus qu’elle veut « protéger l’ordre international fondé sur des règles », a abondé M. Marles, après avoir expliqué que la Chine cherchait « à façonner le monde » à sa main.

Au-delà des sujets concernant la sécurité civile [dans le cadre des accords FRANZ, ndlr], cette « intimité opérationnelle » visera à « défendre notre modèle politique dans la zone Pacifique », a dit M. Lecornu. « Nous sommes des démocraties libérales attachées à des valeurs qui, comme on le voit malheureusement en Ukraine, sont attaquées. […] Nous devons donc être en situation de créer les moyens de nous défendre et nous protéger ce modèle », a-t-il continué.

La coopération franco-australienne devrait en conséquence être plus approfondie dans les domaines du renseignement, de lutte contre la désinformation et le cyber, a détaillé M. Lecornu. Mais pas seulement. En effet, il s’agira aussi pour la France et l’Australie de proposer conjointement des « partenariats » militaires avec les pays du Pacifique Sud. Une réunion des ministres de la Défense de la cette région pourrait d’ailleurs être prochainement organisée à Nouméa. « Comme nous communions sur l’essentiel dans la manière de nous projeter et de nous défendre, nous avons donné mandat à nos équipes pour y travailler », a-t-il précisé.

Par ailleurs, le ministre a dit vouloir mener une réflexion sur le modèle des forces françaises présentes dans la région Indo-Pacifique [FAZSOI dans l’Océan Indien, FANC en Nouvelle-Calédonie et FAPF en Polynésie française, ndlr] dans le cadre des travaux de la prochaine Loi de programmation militaire [LPM], en lien avec les capacités australiennes.

Le « gabarit » des forces françaises déployées en outre-Mer, notamment celles qui le sont en Nouvelle-Calédonie, on le déterminera « en miroir du degré d’intensité du partenariat que nous avons avec l’Australie » car « mettre beaucoup de moyens pour faire des choses seul n’est pas la même affaire que de mettre beaucoup de moyens pour faire des choses à deux », a développé le ministre qui, par ailleurs, a estimé que les six nouveaux patrouilleurs outre-Mer [POM] que la Marine nationale doit recevoir dans les mois à venir ne « suffiront pas ».

Un autre axe de cette « intimité opérationnelle » avec l’Australie porte sur la projection de forces, comme celle que vient de réaliser l’armée de l’Air & de l’Espace en Nouvelle-Calédonie [mission PEGASE 22] ou encore à l’image de celle menée par la Marine nationale en 2020/21 [mission Marianne]. Le ministre a dit vouloir les « intensifier » et les rendre « plus fréquentes », allant jusqu’à envisager le déploiement d’avions de combat dans la région « tous les deux mois ».

Enfin, M. Lecornu a également évoqué les « sujets industriels » qui « sont au service de l’ambition de défense que nous avons, et pas l’inverse. », a-t-il dit. « Il est clair que la base industrielle [de défense] française est à la disposition du gouvernement australien, parce que nous avons des produits dont nous pensons qu’ils peuvent intéresser vos armées et nous avons l’humilité de considérer que vous avez des produits qui peuvent intéresser notre armée », a-t-il affirmé, en s’adressant directement à M. Marles.

« Ce n’est pas l’opportunité des carnets de commandes qui doit guider nos choix mais le niveau de protection que l’on doit aux Australiens et aux Français », a conclu M. Lecornu.

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