Le concept de drone de surface n’est « pas complètement mûr », estime l’amiral Vandier

Si le plan ‘Force Design 2045″ est validé [et conduit à son terme, ce qui est loin d’être évident], la marine américaine devrait disposer d’une flotte assez conséquente « plateformes de surface et sous-marines autonomes » [ou barrées à distance] d’ici une vingtaine d’années.

Malgré les réticences du Congrès, le Pentagone a lancé plusieurs programmes à cette fin, avec des fortunes diverses.

Ainsi, en matière de drone sous-marin de grande taille [Large Displacement Unmanned Undersea Vehicle – LDUUV], l’US Navy mise sur le « Snakehead » [qui traverse quelques difficultés même s’il vient d’entamer ses essais en mer] et sur l’Orca qui, plus imposant, serait utilisé pour des missions allant de la lutte anti-sous-marine à la guerre électronique en passant par la chasse aux mines. À noter que la France [avec Naval Group, qui a de grandes ambitions dans ce domaine], l’Australie et le Royaume-Uni se sont aussi engagés dans cette voie.

Par ailleurs, l’US Navy évalue l’apport de drones de surface [Large Unmanned Surface Vehicle] dans ses opérations navales, comme lors de la dernière édition de l’important exercice aéronaval RIM of the PACIFIC [RIMPAC], avec les navires sans équipage « Sea Hunter », « Sea Hawk », « Ranger » et « Nomad ». D’autres expérimentations sont en cours, notamment au Moyen-Orient, sous l’égide de la Task Force 59, récemment créée dans ce but.

La marine américaine envisage aussi d’utiliser des drones de surface pour des missions de transport, l’EPF-13 [Expeditionary Fast Transport] USNS Apalachicola devant effectuer des essais prochainement. Enfin, et à l’instar de la Marine nationale avec le SLAMF [Système de lutte antimine du futur], elle utilisera le dragueur de mines sans équipage UISS [Unmanned Influence Sweep System].

D’autres forces navales misent sur des drones de surface pour gagner de la masse. C’est par exemple le cas de la Turquie, où la production en série de l’Ulaq, un navire autonome armé rapide [35 noeuds], de 11 mètres de long, a été lancée, d’après une annonce faite ce 12 août.

Quoi qu’il en soit, ce concept de drone de surface est-il pertinent? « Il est possible de se noyer dans les octets », a récemment prévenu le capitaine de frégate François-Olivier Corman, spécialiste de l’innovation navale, dans une tribune publiée par la revue Conflits. Et, citant l’amiral Raoul Castex, il a invité à ne pas perdre de vue le « sage principe » selon lequel « l’efficacité des armes est multipliée par leur action solidaire ».

D’autant plus que, ces dernières années, l’US Navy a été friande d’innovations technologiques censées lui donner un avantage opérationnel indéniable… comme le canon électromagnétique [qu’elle a fini par abandonner], le programme de « destroyer » Zumwalt, arrêté lui aussi à la troisième unité, son coût unitaire étant équivalent au PIB du Malawi [selon le CF Corman] ou encore le concept de Littoral Combat Ship [LCS], pas loin de virer au fiasco…

Cela étant, tout dépendra du degré de vulnérabilité des navires autonomes. Grâce, notamment, à sa discrétion et à des relais acoustiques, comme ceux mis au point par Thales et Sercel Defense pour le DSMO [démonstrateur de drone sous-marin océanique] de Naval Group, un drone sous-marin pourrait être moins susceptible de faire les frais d’une action ennemie. Ce qui est moins vrai pour les navires autonomes de surface. Du moins pour le moment.

Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 27 juillet, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier, qui a récemment eu l’occasion d’aborder ce sujet avec son homologue américain, a estimé que les drones se « heurtent à deux problèmes principaux ».

« Le premier tient à l’armement : peut-on franchir la limite que constitue l’emploi d’un système d’armes létales autonome [SALA]? C’est un sujet sur lequel s’est penché le comité d’éthique de la défense […]. Confier des armes puissantes, voire, comme les Russes le prétendent, avec des armes nucléaires [avec la torpille dronisée « Poseidon », ndlr], à des systèmes automatiques est pour le moins problématique », a souligné le CEMM.

Au-delà des questions éthiques, l’autre obstacle est purement opérationnel. « Le système de communication est le point faible du drone. Pour un drone aérien, cela passe par le satellite. Si on brouille la liaison, on perd le contrôle du drone. Sous la mer, les ondes radio ne passent pas : une fois largué, le drone sous-marin doit avoir une forte part d’automatisme et il peut être perdu », a développé l’amiral Vandier.

Cependant, et comme l’a indiqué la dernière édition du Document de référence de l’orientiation de l’innovation de défense [DrOID], la Marine nationale s’intéresse surtout à la « coopération entre le sous-marin et le drone sous-marin » car, a expliqué le CEMM, « outre les nageurs de combat, on peut placer de nombreux matériels dans la valise de pont d’un sous-marin, ce qui ouvre des perspectives ».

« J’ai beaucoup discuté, récemment, avec mon homologue américain sur la dronisation des flottes. Les États-Unis n’ont pas le potentiel pour accélérer leurs chantiers navals. Leur flotte de bateaux dronisés est confrontée à deux difficultés : la perte du contact avec le drone et le risque qu’une autre armée s’en empare », a ensuite rapporté l’amiral Vandier, pour qui les « concepts ne sont pas encore complètement mûrs ».

Quand ils le seront – si jamais ils ne sont un jour – alors ces drones de surface pourraient, selon le CEMM, « jouer un rôle d’accompagnateur des forces », avec la possibilité – sous réserve de les équiper de systèmes de guerre électronique et « éventuellement de quelques armes » – de les faire « aller 40, 50, 100 nautiques en avant pour éclairer et défendre au loin une force aéronavale ».

L’amiral Mahan disait que « de bons marins sur de mauvais bateaux sont meilleurs que de mauvais marins sur de bons bateaux »…. Et le capitaine de frégate Corman de rappeler : « Loin des sirènes de la mode et des rêves de certains industriels, la guerre navale du XXIe siècle impose de préférer le solide au brillant, l’expérience à la théorie et la réalité à l’idée ».

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