Pour le général Schill, Berlin doit poser un acte politique pour sortir le char franco-allemand du futur de l’ornière

Chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] en 2018, le général Jean-Pierre Bosser avait dit s’attendre à une coopération « difficile » avec l’Allemagne au sujet du Main Ground Combat System [MGCS], c’est à dire le char de combat franco-allemand du futur. « Il ne faut pas minimiser les difficultés que nous allons rencontrer sur ce projet », avait-il dit, en évoquant les différences doctrinales de part et d’autre du Rhin. En outre, les « échanges seront sans doute plus compliqués » pour la « partie industrielle », avait-il prophétisé.

Conduit sous responsabilité allemande, le MGCS ne devait pourtant pas poser de souci particulier au niveau industriel étant donné que ce projet devait être conduit par KNDS, la co-entreprise formée par Nexter et Krauss-Maffei Wegmann. Seulement, Berlin a imposé un troisième acteur, à savoir Rheinemetall, ce qui a bousculé les équilibres.

Et, depuis, ce programme s’est enlisé, notamment à cause d’un différend entre Nexter et Rheinmetall au sujet de l’armement principal du MGCS. Ainsi, l’industriel français met en avant son canon de 140 mm issu du concept ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN] tandis que son concurrent allemand estime que son canon de 130 mm L/51, associé à un chargeur automatique qu’il décrit comme étant de « pointe », serait le plus approprié.

Quoi qu’il en soit, le MGCS est actuellement bloqué à la phase SADS Part 1 [relative à l’étude d’architecture], qui n’en finit pas d’être prolongée, faute d’accord sur son organisation industrielle, laquelle doit respecter un partage des tâches à 50-50 entre les Français et les Allemands.

« La balle est dans le camp des industriels allemands, en particulier dans [celui] de Rheinmetall. […] Donc, ces industriels allemands doivent trouver entre eux les conditions d’un accord pour se répartir les tâches et les travaux », avait d’ailleurs estimé Florence Parly, l’ex-ministre des Armées, en décembre 2021.

Quelques semaines plus tôt, le général Pierre Schill, l’actuel CEMAT, n’avait pas écarté un éventuel échec de cette coopération franco-allemande. « Si le MGCS ne peut pas être réalisé avec l’Allemagne, il faudra soit envisager un programme franco-français, soit s’appuyer sur la communauté SCORPION tournée vers le Benelux. De toute façon, il faudra aboutir à la construction d’un nouveau char », avait-il dit.

Cependant, a affirmé le général Schill lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 20 juillet dernier, « en matière n matière de coopération industrielle, dans le domaine militaire, une position franco-allemande est primordiale pour atteindre l’objectif d’interopérabilité entre nos armées, dans l’OTAN ou l’Europe, de manière à offrir au politique des moyens d’action culturels et juridiques, mais aussi en matière d’équipements – au mieux les mêmes, au moins qui puissent communiquer ».

Aussi, a continué le CEMAT, « si l’Allemagne et la France parviennent à faire un pas en avant, comme bien souvent, cela aura un effet d’entraînement sur les autres pays ».

Cela étant, encore faut-il que les « planètes » s’alignent… « Mon homologue allemand compte investir la part des 100 milliards annoncés par le chancelier Olaf Scholz qui reviendrait à l’armée de Terre dans les domaines de la connectivité et du combat collaboratif, dans lesquels la France dispose de technologies à la fois matures et en pointe. J’ai souligné l’importance, sinon d’acheter nos équipements, du moins de construire un ensemble interconnectable avec la France. J’espère être entendu », a d’abord confié le général Schill aux députés.

Mais s’agissant du MGCS, les choses se compliquent. « Nous devons aligner les besoins des deux armées de Terre. Nous ne sommes malheureusement pas dans la même situation par rapport à l’urgence. La France lance la dernière étape de modernisation du char Leclerc, pour lui permettre de s’interconnecter avec la bulle SCORPION, sachant que, dès 2035, ces chars devront être remplacés. Au contraire, l’Allemagne a la capacité d’utiliser une génération supplémentaire du char Leopard, avant le futur équipement », a relevé le général Schill. Aussi, a-t-il poursuivi, « il y a des enjeux dans ce programme pour les deux pays et nous nous efforçons donc de les faire converger, de les aligner ».

Mais cette convergence ne pourra se faire que si Berlin pose un acte politique…

« Sur le plan militaire comme industriel, les Allemands doivent choisir, par un acte politique, de construire avec nous cet équipement », a en effet estimé le CEMAT. D’autant plus que, a-t-il dit, « nous ne sommes pas en position de demandeur, car nous avons des atouts avec les éléments de connectivité que nous pourrions apporter dans le programme ».

Seulement, si la « décision politique doit se transformer en décision opérationnelle », l’Allemagne n’a pas, contrairement à la France, « d’organisation en base industrielle et technologique de défense [BITD] placée sous la houlette de la direction générale de l’armement [DGA] », ce qui fait qu’il est « difficile » pour Berlin « d’avoir une prise sur les industriels », a expliqué le général Schill.

Reste que l’horloge continue de tourner… Et qu’au-delà des déclarations d’intention, aucune solution n’est en vue pour le moment.

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