La Corée du Sud s’invite dans le dossier des futurs sous-marins australiens
D’ici mars 2023, le gouvernement australien, désormais dirigé par Anthony Albanese, devrait préciser le type de sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] qui équipera la Royal Australian Navy [RAN] dans le cadre de l’alliance AUKUS [Australie, Royaume-Uni et États-Unis] qui, forgée en septembre 2021, avait eu raison du contrat que Canberra avait attribué au français Naval Group pour douze sous-marin océanique à propulsion classique de type « Shortfin Barracuda ». Et surtout, compte-tenu des délais nécessaires, s’il faudra passer par une capacité intérimaire…
Et tout laisse à penser que la marine australienne n’y coupera pas. En effet, selon un rapport [.pdf] du Congrès des États-Unis dont le quotidien britannique The Guardian s’est fait l’écho, le programme de SNA « Virginia » de l’US Navy connaît des difficultés, avec des retards dans la production des unités commandées et dans la maintenance de celles qui ont été livrées, le tout conjugué avec une hausse des coûts amplifiées par les pénuries de pièces et de certains composants. Et dans le même temps, l’industrie américaine doit mener de front le programme « Columbia », lequel vise à remplacer les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la classe Ohio.
Quant au Royaume-Uni, si le remplacement des sept SNA de type « Trafalgar » par ceux de la classe Astute approche de son terme, la Royal Navy prépare d’ores et déjà la suite avec le projet « Submersible Ship Nuclear Replacement » [SSNR], pour lequel une enveloppe de 85 millions de livres sterling a été débloquée en septembre 2021 pour financer des études préliminaires confiées à BAE Systems et à Rolls Royce.
En outre, et dans les années à venir, les chantiers navals d’outre-Manche seront surtout mobilisés pour l’ambitieux programme de « Dreadnought ». Or, celui-ci est prioritaire puisqu’il permettra de renouveler les quatre SNLE de type Vanguard sur lesquels repose la dissuasion nucléaire britannique. Pourront-ils construire, en même temps, des SNA de type Astute pour l’Australie? Là est la question…
Par ailleurs, un autre facteur est à prendre en considération. En effet, et contrairement à leurs homologues français [ceux des classes Rubis et Suffren], les réacteurs nucléaires des SNA américains et britanniques fonctionnent avec de l’uranium hautement enrichi [UHE], qui sert aussi à produire des armes nucléaires. Et cela n’est donc pas sans conséquence sur le régime de non-prolifération… auquel le Parti travailliste australien, dont est issu M. Albanese, est très attaché.
À noter que, dans un récent rapport sur les développements possibles de l’alliance AUKUS, la Chine n’a pas manqué de relever ce point, en appelant la communauté internationale à « prendre des mesures communes pour sauvegarder le régime de non-prolifération nucléaire ».
Dans un article publié par le groupe de réflexion australien « Lowy Institute », le professeur Alan J. Kuperman a estimé que le gouvernement de M. Albanese n’avait que trois options devant lui.
La première serait de faire en sorte que les SNA livrés par les États-Unis ou le Royaume-Uni à la Royal Australian Navy puissent fonctionner avec de l’uranium faiblement enrichi. Ce qui paraît très compliqué à obtenir, surtout dans des délais relativement contraints. La seconde serait de faire appel à la France… Et donc de lui commander éventuellement des SNA de type Suffren.
Si rien n’est impossible, l’affaire semble mal engagée… Même si les relations entre Paris et Canberra ont pris un nouvel élan depuis quelques semaines, l’affaire AUKUS aura laissé des traces… Et puis une fois que les six SNA « Suffren » prévus pour la Marine nationale auront été construits à Cherbourg, Naval Group s’attellera au programme « SNLE 3G », qui permettra de remplacer les quatre SNLE de type « Le Triomphant ».
Enfin, la troisième option serait de revenir au plan initial que le prédécesseur de M. Albanese, Scott Morrison, a jeté aux orties. Est-il envisageable de reprendre le contrat qui avait été notifié à Naval Group en 2016 pour les douze Shortfin Barracuda là où il a été arrêté? On peut tout imaginer… même l’implication d’un nouvel acteur, à savoir la Corée du Sud.
Ainsi, selon des informations livrées par Breaking Defense, Séoul entend jouer sa carte, alors que ses relations avec Canberra sont déjà très bonnes, le ministère australien ayant récemment commandé 30 obusiers K-9 [ou AS9 Huntsman selon la nomenclature australienne] et 15 véhicules blindés de ravitaillement en munitions K-10 [ou AS10] auprès du sud-coréen Hanwha.
Lors d’un dîner organisé le 21 juillet avec des responsables de la défense des deux pays [et avec Jeong-sik Kang, l’ambassadeur de Corée du Sud en Australie, signe de l’importance de cette question pour Séoul, ndlr], les officiels sud-coréens ont assuré à leurs homologues australiens que leur industrie navale serait en mesure de construire des sous-marins d’attaque à propulsion classique de type Dosan Ahn Chang-ho [ou KSS-III] pour la Royal Australian Navy en sept ans.
Ce délai n’est pas sorti de nulle part : en 2030, les six sous-marins de la classe Collins que possède actuellement la marine australienne commenceront à être retirés du service, ce qui donnera lieu à une rupture temporaire de capacité qui pourrait s’éterniser, faute de disposer des SNA attendus dans le cadre de l’alliance AUKUS.
Pour rappel, affichant un déplacement de 3’000 à 3’500 tonnes pour une longueur de 83,3 mètres, le Dosan Ahn Chang-ho emporte notamment dix missiles balistiques mer-sol « Hyunmoo 4-4 », des missiles antinavires Hongsangeo et des torpilles lourdes. Doté d’un système de propulsion anaérobie [ou AIP pour Air Independent Propulsion] alimenté par des batteries lithium-ion Samsung SDI, son autonomie serait d’une cinquantaine de jours.
En outre, la Corée du Sud n’a pas fait mystère de son intention de se doter de sous-marins nucléaires d’attaque… ce qui pourrait ouvrir la voie à une coopération avec l’Australie.