Plusieurs voix plaident pour une hausse substantielle du budget des armées tout en appelant à des choix capacitaires

Dans un rapport sur la politique de défense française publié par l’Institut Montaigne en février 2021, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve et l’essayiste Nicolas Baverez avaient défendu la nécessité « d’ajuster les capacités et le format » des forces françaises face à la « montée des périls » selon plusieurs priorités : renouveler les moyens de la dissuasion nucléaire, combler rapidement les lacunes limitant la disponibilité des équipements existants [stocks stratégiques de munitions, de pièces détachées, etc], s’adapter aux nouveaux champs et modes de conflictualité, réparer et mooderniser les segments lourds et, enfin, modifier le format de la réserve, celle-ci étant susceptible de « remplir de manière autonome le contrat protection du territoire national à 10.000 hommes ».

Cela étant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a changé la donne. Et, dans une actualisation de leur rapport, il n’est plus question pour MM. Cazeneuve et Baverez de seulement « régénérer » les forces françaises, comme la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 se propose de le faire… mais d’aller au-delà afin de « conserver leur crédibilité ». Ce qui, selon eux, pourrait passer par un « redéploiement des augmentations budgétaires en fonction des priorités stratégiques ». Et donc par des « redéploiements interministériels », voire des « redéploiements au sein du ministère des Armées ». En résumé, il s’agirait donc « d’ajuster » l’effort de défense à la hauteur des enjeux sécuritaires actuels et à venir.

En outre, la décision de l’Allemagne d’augmenter significativement ses dépenses militaires [avec un fonds spécial de 100 milliards d’euros et un budget annuel d’au moins 70 milliards, ndlr] risque de « bouleverser les équilibres géostratégiques en Europe puisque jusqu’ici la France était seule à pouvoir revendiquer le leadership en matière de défense au sein de l’Union et à utiliser ce levier à l’international devrait bouleverser les équilibres géostratégiques en Europe ».

Ancien coordinateur du projet « Défense » de La République en Marche/Renaissance lors des dernières élections, Fabien Gouttefarde, qui n’a pas retrouvé son siège de député, partage ce constat. Le « réarmement allemand est de nature à modifier l’équilibre politique de l’Europe, fondé aujourd’hui sur une prééminence française en la matière, critiquée sans doute, mais néanmoins réelle et justifiée jusqu’ici aussi bien sur le plan capacitaire qu’opérationnel », écrit-il en effet dans un article publié par La Tribune, ce 13 juillet. Aussi en appelle-t-il à un « surcroît budgétaire » en faveur du ministère des Armées, lequel « permettrait de maintenir la parité militaire avec l’Allemagne et d’affronter la haute intensité. »

Pour cela, et comme il l’avait déjà fait en juillet 2021 en appellant à oser le « quoi qu’il en coûte » en matière de défense, l’ex-parlementaire propose d’allouer au ministère des Armées un « Supplément exceptionnel de Recettes » [SER], financé soit par de l’endettement [ce qui paraît compliqué au regard de l’état des comptes publiques], soit par la « création d’un produit d’épargne dédié, sorte de Livret A de Défense et de Sécurité, offrant à chaque Français la possibilité de contribuer à l’effort, tout en épargnant et en préservant son pouvoir d’achat, le taux de rémunération de ce livret étant nécessairement supérieur à celui fixé pour le Livret A ».

Étant donné les fonctions qu’il a occupées au sein de l’équipe du président Macron alors en campagne pour sa réélection, les idées avancées par M. Gouttefarde dans sa tribune pourraient constituer autant de pistes de réflexion pour une prochaine LPM, à défaut de se concrétiser à court terme.

Ainsi, et comme il a déjà eu l’occasion de le faire durant ces dernières semaines, l’ancien député propose de doter la Marine nationale d’un septième sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] de type Suffren et de développer un Rafale F4 de guerre électronique [qui serait… embarqué], d’accélérer sur la question de la robotisation du champ de bataille et, plus généralement, de redonner de la « masse » aux forces françaises. À noter que, dans sa dernière tribune, il insiste pour recréer une filière nationale de munitions de petits calibres [sujet maintes fois évoqué… mais toujours retoqué par la Direction générale de l’armement, ndlr]. « À l’aune de l’affaire ukrainienne », c’est une « nécessité », comme « l’est la commande massive de munitions complexes », fait-il valoir.

En revanche, l’idée de convertir deux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] en lanceurs de missiles de croisières navals [MdCN], en accélérant le programme de SNLE de troisième génération a, semble-t-il, été abandonnée par M. Gouttefarde, alors qu’il en avait défendu le principe dans une tribune publié par Atlantico, en avril dernier.

Cela étant, l’ancien député propose aussi des solutions de court terme, comme la commande de 12 Rafale pour compenser ceux vendus d’occasion à la Croatie, de même que l’achat de Camions équipés d’un système d’artillerie [CAESAr] pour remplacer ceux livrés à l’armée ukrainienne dans les plus brefs délais. Ces deux points ne sont pas surprenants.

D’autres pistes qu’il avance sont cependant susceptible de faire débat. La hausse bugétaire qu’il défend pourrait ainsi permettre d’accélérer le retrait des hélicoptères les plus anciens [Puma et Super Puma] par des NH-90 et des Caracal supplémentaires ainsi que de réactiver un escadron de chasse supplémentaire pour l’armée de l’Air & de l’Espace [ce qui suppose de commander au moins une quinzaine de Rafale de plus].

Pour la Marine nationale, M. Gouttefarde émet l’idée de rénover l’ensemble des frégates légères furtives [il est prévu, pour le moment, de n’en moderniser que trois], ce qui « permettrait d’éviter une rupture de capacité anti-sous-marine à Brest ». Et, outre il propose également de commander deux frégates pouvant être armées de MdCN supplémentaires. Ainsi, la « Royale » disposerait de 19 frégates… Ce qui serait plus conforme à son rang. Enfin, « le principe de permanence du groupe aéronaval [c’est à dire deux porte-avions, ndlr] me semble devoir être sanctuarisé, si nous voulons peser face à nos compétiteurs stratégiques et nos alliés », assure-t-il.

Critiquant le retrait prématuré des deux Transall C-160G « Gabriel » de guerre électronique, M. Gouttefarde propose d’étudier l’idée de les remplacer par une « solution intérimaire », reposant sur « la conversion des Atlantique II non-rénovés en gentilshommes de fortune du renseignement électronique ».

Enfin, s’agissant des coopérations européennes, l’ancien député n’aborde pas le sujet du SCAF… Mais celui du futur char de combat franco-allemand, le MGCS [Main Ground Combat System]. Et son propos risque de faire polémique dans les cercles de l’armée de Terre et des industriels de l’armement terrestre.

« Il ne faut pas que le bon sens cède la place au dogmatisme : poursuivre une coopération sur un futur char lourd est-il raisonnable quand l’Ukraine est jonchée des carcasses des blindés russes et que c’est de plus en plus dans les trois océans – maritime, aérien et spatial, cyber – que se décidera le destin des affrontements? », demande en effet M. Gouttefarde.

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