Une étude plaide pour un « renouveau de l’artillerie française », avec 215 CAESAr et des capacités de défense sol-air
Lors des auditions parlementaires de l’automne dernier, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, avait estimé que l’un des enjeux de la prochaine Loi de programmation militaire [LPM] allait être le rééquilibrage de la « trame artillerie », en portant une attention particulière à la défense sol-air, laquelle ne repose plus que sur des missiles MISTRAL [missile transportable anti-aérien léger], censés assurer la protection à basse altitude des unités engagées en opération.
Le général Schill était arrivé à cette conclusion après l’exercice Warfighter 2021 qui, organisé quelques mois plus tôt aux États-Unis, avait souligné l’importance de l’artillerie dans le cadre d’un engagement de haute intensité. En effet, dans une telle hypothèse, une division sera engagée dans le cadre d’une coalition face à un ennemi à parité. [Or], dans de ce type de combat, l’attrition opérée par notre artillerie et la réaction à l’artillerie adverse sont primordiales, ce qui fait que les « besoins en capacités d’artillerie de cette division sont cruciaux, à la fois pour l’artillerie à longue distance et pour celle qui appuie directement les unités au contact », avait-il expliqué.
Depuis, les combats qui ont actuellement lieu en Ukraine n’ont pu que renforcer ce constat… Seulement, après les coupes budgétaires et les réductions de format effectuées après la Guerre Froide, l’artillerie française est devenue « échantillonnaire ». Et cela d’autant plus que les engagements de ces dernières années, menés dans des environnements « permissifs », ont conduit à des arbitrages que certains sont désormais tentés de remettre en cause, comme, par exemple, le transfert des Systèmes air-sol moyenne portée / Terrestre [SAMP/T ou « Mamba »] à l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE].
Lors du salon de l’armement terrestre EuroSatory 22, en juin, le président Macron a indiqué qu’il avait demandé à Sébastien Lecornu, le ministre des Armées et au général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] de réévaluer la LPM 2019-25 en cours « à l’aune du contexte géopolitique ». Et d’ajouter : « Ce travail donnera lieu […] à une nouvelle planification et à un investissement dans la durée, clair et fort », notamment pour « consolider notre modèle d’armée complet. »
Adossé à la Fédération nationale de l’artillerie [FNA] et réunissant des généraux 2S, d’anciens officiers ayant servi dans cette arme et des personnalités « extérieures » qualifiées, l’Observatoire de l’artillerie vient de réaliser une courte étude dans laquelle il évalue les besoins de l’armée de Terre dans ce domaine, au regard de la guerre en Ukraine.
En premier lieu, s’agissant de la défense sol-air, et sans pour autant vouloir retirer les SAMP/T à l’AAE, l’Observatoire plaide pour doter chacune des deux divisions de l’armée de Terre d’un régiment équipé de tels systèmes. Pour la protection « basse altitude », il estime qu’il faudrait 132 postes de tir MISTRAL pour renforcer les batteries sol/air des régiments d’artillerie et les deux régiments SAMP/T qu’il appelle de ses voeux.
S’agissant des « feux sol-sol », l’étude estime que les 54 véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon dotés d’un mortier [MEPAC, pour Mortiers Embaqués Pour l’Appui au Contact] prévus par l’actuelle LPM sont insuffisants. Et d’avancer que 120 mortiers seraient nécessaires.
Même chose pour les Camions équipés d’un système d’artillerie [CAESAr], dont 18 [sur 76 en dotation] ont été livrés à l’Ukraine.
« Aujourd’hui il est prévu d’acquérir 33 CAESAr supplémentaires en 2025 ce qui portera le parc à 109, nombre notoirement insuffisant. En 2030 l’armée de Terre française disposera de 200 Leclerc rénovés et de 300 Jaguar soit un ratio de 0,22 canons / chars alors qu’il était de 0,85 à la fin de la Guerre Froide. En portant le nombre de CAESAr à 215 le ratio canons /chars sera alors de 0,43 soit le double d’aujourd’hui mais cependant la moitié du ratio de la fin de la Guerre Froide », avance l’Observatoire de l’artillerie.
Quant au Lance-roquettes unitaire [LRU], dont seulement 13 exemplaires sont en service, l’étude parle de moderniser leur châssis « en transférant ce système sur un blindé à roues de type HIMARS qui ne met en oeuvre qu’un seul pod de six roquettes ». Et d’ajouter : « Le besoin serait alors de 55 lanceurs, réparti entre les deux régiments d’artillerie sol-sol de division ».
L’étude souligne également la nécessité de moderniser et de renforcer les moyens d’acquisition des cibles, que ce soit par le radar de contre-batterie COBRA, le drone tactique Patroller et les mini-drones. Cependant, elle plaide pour l’acquisition de d’appareils stratosphériques de type HAPS [Altitude Platform System], comme le Zephyr d’Airbus
L’Observatoire de l’artillerie insiste évidemment sur l’importance de disposer d’un stock suffisant de munitions. Faute de disposer d’un état précis de l’inventaire de l’armée de Terre, il estime cependant que celui-ci devrait être suffisant pour au moins trente jours de combat. « Si le conflit perdure, l’approvisionnement en obus et missiles sera assurée par la montée en puissance de l’industrie munitionnaire », écrit-il. Selon lui, « les stocks de guerre nécessitent un important engagement financier », qu’il évalue à près de cinq milliards d’euros pour les seuls obus explosifs de 155mm et de 1,9 milliard pour les obus BONUS.
Enfin, l’étude aborde la question du recrutement. Étant donné le renforcement des capacités qu’elle préconise, elle évalue à 3000 le nombre d’artilleurs supplémentaires qu’il faudrait recruter. Actuellement, souligne-t-elle, l’artillerie représente 6% de l’effectif total de l’armée de Terre. Ce chiffre passerait à 9% si les solutions qu’elle propose sont adoptées.
« Avec une montée en puissance à la fois de ses effectifs de l’ordre de 3000 personnels et de l’ensemble de ses matériels et munitions nous aurons un véritable ‘RENOUVEAU’ de l’artillerie Française, capable de tenir sa place dans un ‘combat de haute intensité’. Ces propositions devraient être prises en compte lors des travaux pour l’élaboration de la LPM rectificative 2019-25 », conclut l’Observatoire de l’artillerie.