Quand la France songeait à développer un missile aéro-balistique à capacité nucléaire…

Le 19 mars, la Russie a fait savoir que ses forces aériennes venaient de viser un dépôt militaire ukrainien avec une arme hypersonique, en l’occurrence un missile aérobalistique Kh-47М2 Kinjal, tiré par un avion de combat MiG-31K. Dérivé du missile sol-sol SS-26 [ou Iskander-M], cet engin adopte une trajectoire balistique [ou quasi-balistique si son apogée est dans l’atmosphère] avant d’entamer une descente vers sa cible, tout en ayant une capacité de manoeuvre à l’approche du but.

Le Kh-47M2 Kinjal n’est pas le seul missile aérobalistique hypersonique [c’est à dire volant à une vitesse supérieure à Mach 5] à avoir été mis au point… La Chine développe en effet le CH-AS-X-13, lequel devrait armer le bombardier H-6N.

Cela étant, le concept de « missile balistique à lancement aérien » [ALBM] n’est pas nouveau. Aux États-Unis, dans les années 1950, Lockheed développa le missile High Virgo [ou WS-199C], qui devait être mis en oeuvre par le bombardier supersonique Convair B-58 Hustler. Seulement, il ne donna pas pleinement satisfaction. Mais il ouvrit la voie au missile aérobalistique GAM-87 Skybolt, qui devait être lancé par les bombardiers B-52 Stratofortress de l’US Air Force et Avro Vulcan de la Royal Air Force. Mais là encore, ce projet fut annulé en 1962, en raison de ses coûts non maîtrisés et de difficultés techniques… En outre, il paraissait moins pertinent que les missiles balistiques stratégiques sol-sol et mer-sol.

Cependant, à la même époque, la France s’interrogeait sur l’opportunité de doter ses Force aériennes stratégiques [FAS] de missiles aérobalistiques à capacité nucléaire. Alors que le Mirage IVA, porteur de la bombe nucléaire AN-11, s’apprêtait à entrer en service à l’issue d’un développement rapide, les états-majors ne tardèrent pas à évoquer déjà son remplacement, afin d’anticiper les progrès des défenses aériennes et de la guerre électronique. Progrès alors susceptibles de rendre les bombardiers trop vulnérables.

D’où le lancement, en 1962, du programme « Minerve« , qui fait l’objet d’un dossier complet dans le dernier numéro du Fana de l’Aviation. L’idée centrale était qu’il fallait doter la force de frappe française d’un missile air-sol balistique, porté par un nouveau bombardier pouvant le lancer à une distance de sécurité.

Trois constructeurs furent sollicités, dont Sud-Aviation, avec un dérivé du Concorde pouvant emporter le missile « Robot », lui-même issu des études relatives à l’engin balistique sol-sol « Casseur » [abandonné en 1959, ndlr], Dassault Aviation, avec le Mirage IVB, nettement plus imposant que le Mirage IVA, et Bréguet.

Celui-ci plancha sur le bombardier biréacteur supersonique Br.1180… ainsi que sur une version dérivée de ce qui sera le Br.1150 Atlantic [qui sera cependant rapidement écartée]. Ces deux solutions avaient pour point commun le missile aérobalistique Matra 600.

D’une autonomie supérieure à 4000 km, propulsé par deux moteurs Bristol BS593/3 et mis en oeuvre par un pilote, un navigateur et un radariste, le Br.1180 devait afficher une masse de plus de 60 tonnes, pour une longueur de 33 mètres et avoir la capacité d’être ravitaillé en vol [et même servir de ravitailleur]. Il était prévu de placer le Matra 600 dans une soute.

Quant à celui-ci, d’une longueur de 9 mètres pour un diamètre de 1,05 mètres et une masse de 8400 kg, il devait être guidé par une centrale inertielle et un calculateur numérique. Propulsé par un turboréacteur, sa portée maximale annoncée était d’environ 2000 km selon l’altitude de largage.

Le Matra 600 « peut être largué à Mach 2 à l’altitude de 18000 mètres, sa portée maximale étant alors de 1900 km. Le lancement à basse altitude peut s’effectuer à Mach 1,2, avec une portée comprise alors entre 1000 et 1200 km. La tête nucléaire envisagée est d’une puissance d’environ une mégatonne [un million de tonnes de TNT, ndlr] . Une version bi-étage permettant d’améliorer la portée est envisagée pour le lancement à basse altitude », résume Claude Carlier, dans les colonnes du Fana de l’Aviation.

Finalement, ce projet n’alla pas plus loin que la planche à dessins… puisqu’il fut décidé de l’annuler en 1963. L’une des raisons était le recours à des moteurs de conception étrangère, ce qui n’était pas conforme avec les critères d’indépendance nationale de l’époque. En outre, il était considéré à la fois comme étant trop ambitieux et trop coûteux.

Il faudra ensuite attendre les années 1980 pour voir les FAS être dotées d’un missile à capacité nucléaire – mais de croisière – avec l’ASMP [Air Sol Moyenne Portée].

En savoir plus : « French Secret Projects » volume II – Jean-Christophe Carbonel

Photo : Bréguet, via le Fana de l’Aviation

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