Intimidations, violation des eaux territoriales, espionnage… La Chine met la marine des Philippines à l’épreuve

Dans les années 1990, Pékin déploya une flottille de navires de pêche, appartenant en réalité à sa milice maritime [PAFMM – People’s Armed Forces Maritime Militia] dans les environs du récif philippin de Mischief, situé dans l’archipel Spratley, en mer de Chine méridionale. Et, Manille n’ayant que mollemement protesté contre cette intrusion, l’îlot abrite désormais une base chinoise.

Le même mode opératoire fut suivi en 2012 pour faire main basse sur un autre récif philippin, à savoir celui de Scarborough, au large de l’île de Luçon, toujours en mer de Chine méridionale. Cette fois, les autorités philippines réagirent et portèrent l’affaire devant la Cour permanente d’arbitrage [CPA] de La Haye. Et celle-ci leur donna raison en juillet 2016, estimant que les revendications de la Chine ne reposaient sur « aucun fondement juridique ». Pour autant, ayant qualifié ce verdict de « nul et non avenu », Pékin y maintient toujours sa présence sur l’atoll en question.

Cependant, l’élection du président Rodrigo Duterte – quelques jours seulement avant la décision de la CPA – changea la donne. En effet, dès son entrée en fonction, il réorienta la politique étrangère de son pays vers la Chine et la Russie tout en ne cachant pas son hostilité à l’égard des États-Unis, avec lesquels les Philippines sont liées par d’anciens accords de défense. Pour autant, cela n’eut aucun effet sur l’attidude de Pékin, qui continua à lorgner sur les îles philippines situées en mer de Chine méridionale.

En 2019, plus de 200 navires de la milice maritime chinoise [accompagnés par des bâtiments du corps chinois des gardes-côtes] furent signalés à proximité de l’îlot philippin de Pag Asa [encore appelé « Thitu »], situé dans l’archipel Spratley. Cette fois, M. Duterte ne cacha pas son exaspération, allant jusqu’à évoquer une « mission suicide » pour décamper les intrus. Cependant, dans le même temps, et malgré un rapprochement dans la lutte contre les groupes liés à l’État islamique sur l’île de Mindanao, les relations entre Manille et Washington étaient toujours tendues… au point de remettre en cause offrant un cadre légal à la présence des militaires américains dans l’archipel.

Reste que la Chine continua ses incursions près des îlots philippins. Comme en mars 2021, quand une flottille de plusieurs centaines de navires de pêches fut repérée près du récif de Whitsun [ou « Juan Felipe], situé dans l’archipel des Spratleys, à 230 km de l’île de Palawan. Si M. Duterte se montra plutôt conciliant, il en alla autrement avec les membres de son gouvernement, à commecer par Delfin Lorenzana, son ministre de la Défense.

Pendant plusieurs mois, les forces philippines tentèrent de faire déguerpir la milice maritime chinoise… Ce qu’elle finit pas obtenir en juillet. Enfin presque… puisqu’il fut dit par la suite que les navires chinois s’étaient « dispersés » en mer des Philippines.

Cela étant, et alors que les relations militaires entre Manille et Washington sont reparties sur de nouvelles bases, avec notamment la tenue, en février dernier, de l’exercice Marex 22 [associant l’infanterie de marine philippine et l’US Marine Corps, ndlr], un navire chinois dédié à la collecte de renseignements d’origine électro-magnétique et appartenant à la classe  » Dongdiao », a navigué pendant trois jours [du 29 janvier au 1er février] dans les eaux territoriales de l’archipel, plus précisément entre les îles Cuyo [Palawan] et Apo [Mindoro].

Pour une raison qui leur est propre, les autorités philippines ont mis presque deux mois pour dénoncer cet incident, qui peut être considéré comme grave étant donné qu’il s’agit d’une violation volontaire des eaux territoriales de l’archipel.

Selon les explications fournies par celles-ci, la frégate BRP Antonio Luna [admise au service en mars 2021, ndlr] s’est opposée au navire espion chinois, qui a alors fait valoir qu’il effectuait un « passage inoffensif » dans les eaux philippines. « Ses déplacements n’ont cependant pas suivi une trajectoire que l’on peut considérer comme continue et rapide, s’attardant en mer de Sulu pendant trois jours », a affirmé le ministère philippin des Affaires étrangères, qui a convoqué l’ambassadeur de Chine en poste à Manille.

Qui plus est, le bâtiment chinois n’aurait obtempéré à aucun moment aux injonctions du BRP Antonio Luna, qui a lui demandé à maintes reprises de « quitter immédiatement les eaux des Philippines ».

Alors que les États-Unis et les Philippines ont relancé, ce 28 mars, leur exercice conjoint « Balikatan », avec plus de 9’000 soldats mobilisés. Il portera notamment sur les opérations amphibies et la sécurité maritime. Un navire espion chinois rééditera-t-il le coup du mois de janvier?

Quoi qu’il en soit, les protestations adressées par Manille à Pékin n’ont que peu d’effets [voire pas du tout]. Ce 27 mars [soit près d’un mois après les faits], les garde-côtés philippins ont accusé leurs homologues chinois d’avoir eu un comportement dangereux près du récif de Scarborough.

Selon la garde-côtière philippine [PCG], le navire chinois s’est approché à seulement 19 mètres de l’un de ses patrouilleurs, ce qui, d’après elle, constitue une « violation manifeste » du Règlement international de 1972 pour prévenir les abordages en mer. Et cet incident n’est pas le premier du genre : trois autres se sont produits depuis le début de cette année.

Il est à craindre que de telles « rencontres » puissent dégénérer à un moment ou à un autre. Depuis janvier 2021, les gardes-côtes chinois sont autorisés à faire usage de leurs armes – sans sommation – contre toute navire qui violerait les eaux chinoises. Et comme Pékin considère celle du récif de Scaborough comme siennes… Déjà, en novembre dernier, ils ont été accusés par Manille d’avoir utilisé des canons à eau contre des navires allant ravitailler les militaires philippins affectés sur l’atoll « Second Thomas », situé dans l’archipel Spratley.

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