Berlin a pris la décision de principe d’acquérir une trentaine de chasseurs-bombardiers F-35A
En mai 2017, il fut rapporté que la force aérienne allemande [Luftwaffe] s’intéressait de très près au chasseur-bombardier F-35A de l’américain Lockheed-Martin dans le cadre de ses réflexions sur le remplacement de ses Panavia Tornado, dont le maintien en condition opérationnelle allait devenir de plus en plus compliqué. L’enjeu était alors de permettre à l’Allemagne de continuer à faire partie du partage nucléaire de l’Otan, lequel repose sur l’arme nucléaire tactique B-61.
Puis, en juillet, le programme SCAF [Système de combat aérien du futur] fut lancé par le président Macron et la chancelière Merkel, en même temps que le char de combat du futur [MGCS – Main Ground Combat System]. Pour autant, l’intérêt de la Luftwaffe pour le F-35A resta intact, d’autant plus que l’avion de combat franco-allemand de 6e génération ne devait alors pas être opérationnel d’ici 2035 au mieux.
Cela étant, la partie française avait laissé entendre qu’un achat du chasseur-bombardier américain par Berlin serait de nature à nuire au SCAF. « À court terme, il conviendra déjà de scruter la décision que prendront les autorités allemandes s’agissant du renouvellement des Panavia Tornado […]. Si le F-35 […] est retenu, la coopération franco-allemande en la matière ne pourrait se révéler qu’un vœu pieux. Il s’agit là d’un point essentiel dans la mesure où, à terme, une telle désillusion pourrait sonner le glas des capacités techniques et industrielles européennes sur ce segment de l’industrie de défense, et ainsi remettre en cause notre autonomie stratégique », avait ainsi estimé le député Jean-Jacques Bridey, rapporteur du projet de loi relatif à la programmation militaire 2019-25.
Le parlementaire n’était alors pas le seul à exprimer une telle préoccupation. Pdg d’Airbus Defence & Space, Dirk Hoke fit valoir les mêmes arguments dans la presse d’outre-Rhin. Acquérir des F-35 « pourrait affaiblir l’industrie européenne de la défense et la rendre de plus en plus tributaire de la technologie américaine », fit-il valoir en novembre 2017.
« Pour remplacer leurs Tornado, les forces allemandes ont besoin d’un avion de cinquième génération, difficile à détecter par les radars ennemis et capable de frapper des cibles à grande distance. Il s’agit vraiment de se donner une capacité de dissuasion. Parce que si vous avez la capacité d’envoyer un avion dans l’espace aérien d’un autre pays sans qu’il se fasse détecter, alors c’est un moyen de dissuasion incroyable », avait rétorqué le général Karl Müllner, le chef d’état-major de la Luftwaffe, quelques semaines avant d’être invité à quitter ses fonctions…
Puis, ne pouvant compter sur une certification rapide de l’Eurofighter EF-2000 pour emporter la B-61 [le processus relevant des États-Unis, les avions américains sont privilégiés], Berlin fit part de son intention de se procurer, auprès de Boeing, 30 F/A-18 Super Hornet et 15 E/A-18 Growler, ces appareils étant destinés à reprendre les missions nucléaires et de guerre électronique des Tornado. Ce choix avait l’avantage de ménager la chèvre et le chou… et de préserver le SCAF.
Seulement, le Bundestag [chambre basse du Parlement allemand] remit la décision d’acquérir les F/A-18 après les élections fédérales de septembre 2021, tout en votant, du bout des lèvres, les crédits nécessaires pour financer la phase 1B du programme SCAF [et en portant un coup, sans doute décisif, à la coopération franco-allemand en matière de patrouille maritime].
La nouvelle coalition désormais au pouvoir à Berlin [dite tricolore car réunissant sociaux-démocrates, écologistes et libéraux] assura qu’elle remplacerait les Tornado afin de maintenir la participation de l’Allemagne aux missions nucléaires de l’Otan. Mais elle se garda de confirmer le choix du F/A-18 Super Hornet.
Depuis, plusieurs échos ont suggéré que le F-35A était revenu dans la boucle… D’autant plus que les autorités améicaines firent sortir le F/A-18 Super Hornet de la liste des avions devant être certifiés pour emporter la dernière version de la bombe B-61 [la B-61-12].
Et lors de son discours prononcé le 28 février dernier sur les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et au cours duquel il a annoncé une hausse significative du budget de la Bundeswehr [avec un fonds de 100 milliards d’euros et un montant à plus de 2% du PIB], le chancelier allemand, Olaf Scholz, ne cita qu’un seul type de chasseur-bombardier pour remplacer les Tornado : celui du F-35A. Pour autant, la décision d’en acquérir n’avait pas encore été formellement prise. C’est désormais le cas, selon plusieurs sources concordantes.
Ainsi, selon des informations obtenues par les agences DPA er Reuters, Berlin a décidé l’achat de 35 F-35A ainsi que celui de 15 Eurofighter EF-2000 supplémentaires, en version « ECR SEAD » [guerre électronique].
« Les inquiétudes antérieures du gouvernement fédéral selon lesquelles l’achat du F-35 pourrait contrecarrer les projets conjoints avec la France de construire un ‘avion de combat du futur’ européen sont désormais passées au second plan et semblent largement invalidées du point de vue de Berlin », écrit DPA.
Cela étant, d’un point de vue opérarionnel, la décision allemande paraît logique : le F/A-18 Super Hornet n’est pas parvenu à s’imposer dans les pays qui étaient déjà clients de Boeing avec le F/A-Hornet [Suisse, Finlande et Canada] et l’achat de F-35A permettra de développer des synergies – voire des mutualisations – avec plusieurs alliés de l’Otan qui en sont dotés [ou qui sont en passe de l’être], à commencer par les Pays-Bas, avec lesquels l’Allemagne entretient des liens militaires étroits [en tout cas, bien plus importants qu’avec la France].
Reste à voir la réaction de la France, et les conséquences sur le SCAF, dont l’avion de combat sur lequel il reposera fait toujours l’objet d’un bras de fer entre Dassault Aviation et Airbus, le second remettant en cause les leviers devant permettre au premier d’assurer se reponsabilité de maître d’oeuvre.
« L’Allemagne a besoin de remplacer urgemment ses Tornado pour mettre en œuvre la dissuasion dans le cadre du partage nucléaire de l’OTAN. Des rumeurs persistantes font état de la préférence de la Luftwaffe pour le F-35 qui, s’il était acquis, supprimerait le besoin allemand d’un nouveau chasseur à horizon 2040 », ont ainsi récemment souligné les députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, dans un rapport sur la « haute intensité ».