Non, M. Attali, l’envie de se battre n’a pas manqué aux soldats français de 1940!
Même si on ne peut qu’en avoir une perception biaisée par les réseaux sociaux, comme l’explique le général [2S] Olivier Kempf dans les colonnes du Figaro, il serait tentant d’établir un parallèle entre la résistance qu’opposent les Ukrainiens aux forces russes avec les combats livrés par l’armée française contre les troupes allemandes durant la campagne de France, en mai-juin 1940. Mais ce serait commettre une erreur d’appréciation. Comparaison n’est pas raison, dit-on.
Cependant, dans son dernier billet hebdomadaire publié par Les Échos, l’essayiste Jacques Attali s’est risqué à comparer les deux situations… Quitte à faire fi de la mémoire et de l’honneur des combattants français de 1940, qui furent, quoi qu’on puisse en dire, les premiers résistants.
M. Attali passe pour quelqu’un de très cultivé. Et on ne peut imaginer que sa connaissance de la Bataille de France se limite à l’image d’Épinal véhiculée par les comédies de Robert Lamoureux [comme « Mais où est donc passée la septième compagnie »]. Ou alors, c’est qu’il ne peut pas admettre que les soldat français de 1940 aient été des lions commandés par des ânes, pour paraphraser la formule du général américain Douglas MacArthur.
« […] Rien n’est plus cruel pour la France, et de plus éclairant, que d’imaginer ce qui aurait pu se passer entre le 10 mai 1940 […] et le 17 juin 1940 […], si la France s’était aussi bien préparée au combat contre les armées du chancelier Hitler que l’Ukraine s’est préparée à affronter les troupes du président Poutine. Non pas seulement en termes d’armement, en particulier d’armement blindé, mais surtout en termes de moral, d’envie de se battre, de ce que les Anglais nommaient alors le ‘fighting spirit’, dont ils ont si bien su faire preuve à cette époque », écrit M. Attali.
Et d’ajouter : « Si tel avait été le cas, Strasbourg, Reims, Lille, auraient résisté comme résistent aujourd’hui Kharkiv, Marioupol et Kherson. Nous aurions sans doute eu plus de morts que nous n’en avons eu ; mais nous aurions sans doute pu éviter la défaite. Et même si nous avions été provisoirement battus, nous aurions évité la collaboration et le déshonneur. Le sort de la guerre, et de l’après-guerre, eut été totalement différent ».
À en croire l’éditorialiste, les soldats français n’auraient pas eu « envie de se battre » contre l’envahisseur… Ce qui est un peu court car c’est passer outre les erreurs [et la sclérose] du commandement [décrites par Marc Bloch dans « L’étrange défaite], la supériorité tactique des armées allemandes, ainsi que celle de leurs équipements, tant en quantité qu’en qualité.
« Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui », avait d’ailleurs déploré le général de Gaulle, dans l’Appel du 18 juin.
Mais par dessus tout, face à l’ennemi, les soldats français ont opposé une résistance farouche, voire héroïque. Ce ne sont pourtant pas les faits d’armes qui manquent.
Ainsi, et alors qu’il était impensable pour le commandement de voir les armées allemandes passer par les Ardennes, le village de Stonne changea 19 fois de mains entre les 15 et 18 mai, les troupes françaises, inférieures en nombre, ayant mis hors de combat environ 6000 soldats allemands. La bataille prit fin le 25 mai, une fois les ultimes poches de résistance réduites au silence. « Les soldats de la Wehrmacht ont toujours comparé l’enfer de Stonne en 1940 à l’enfer de Verdun en 1916 », écrira l’historien Karl-Heinz Frieser.
Stonne peut être le symbole de la combativité et de l’esprit de sacrifice des soldats français… Mais ce serait oublier les combats de Tannay, au cours desquels 47 cavaliers du 93e Groupe de reconnaissance de division d’infanterie [GRDI] se lancèrent, baïonnette au canon à l’assaut des positions allemandes, sans le moindre appui. Seulement cinq survécurent au déluge de feu et d’acier. Au total, cette bataille coûta la vie à un milliers de soldats français. Les pertes furent trois fois plus nombreuses côté allemand.
Quasiment au même moment, à Landrecies [Nord], trois chars B1 Bis, à savoir le « Tornade » [sous-lieutenant Rival], le « Mistral » [lieutenant Pompier] et le « Tunisie » [sous-lieutenant Gaudet] réussirent l’exploit de détruire des dizaines d’automitrailleuses allemandes apparemment abandonnées. En apparence, seulement, puisque des impacts furent relevés sur les tourelles des blindés français.
Le 5 juin 1940, venant de se lancer à l’assaut de la Ligne Weygand et malgré le déluge d’acier venu du ciel [et des « Stukas »] et leur supériorité numérique, les troupes allemandes se heurtèrent à une résistance inattendue de la part des forces françaises chargées de tenir la position. Comme dans le village de Champien. « Il faudra qu’ils me passent sur le corps pour avancer! », aura encore la force de dire le sous-lieutenant Francis Vincent, alors que l’issue de la bataille ne faisait plus aucun doute, après des heures de combats acharnés, et que la mort n’allait pas tarder à le faucher.
« Il s’est allumé une lutte acharnée, où l’on ne se bat pas pour chaque village mais pour chaque maison. […] À la sommation de se rendre, les Français répondent négativement et par un redoublement de leur feu. Ce sont des soldats qui ne connaissent ni faiblesse, ni hésitation », témoignera un officier de la IVe Panzer.
Plus tard, alors que l’armée allemande s’apprêtait à entrer dans Paris, le 20e Corps français [soit six régiments], après avoir subi un bombardement ayant duré plus de trois heures, tint tête à six divisions d’infanterie de la Wehrmarcht dans le secteur fortifié de la Sarre. « Les Français s’accrochent au terrain et ne le cèdent qu’au prix du sang », relatera l’historien Roger Bruge.
Dans les airs, peut-être que le bilan des « mille victoires » de la chasse française est-il exagéré… Mais il n’empêche que les aviateurs français auront également tenu la dragée haute à une Luftwaffe dotée d’appareils redoutables, comme le Messerschmitt Bf 109. Citons le sergent-chef François Morel, abattu le 18 mai 1940 après avoir été crédité de 12 victoires [dont 7 en collaboration] en une semaine, le capitaine – et futur général – Jean Accard [12 victoires], ou encore du sous-lieutenant René Pomier Layrargues, mort à 23 ans, après six victoires homologuées, dont une aux dépens de l’as allemand Werner Mölders, qui comptait alors 25 victoires. Mais il est impossible de tous les évoquer…
Et que dire au sujet du raid – réussi – contre Berlin, mené le 7 juin 1940 par un Farman F.223.4 affecté à l’aéronautique navale et transformé en bombardier, avec pour équipage le capitaine de corvette Daillière, l’enseigne de vaisseau Comet [navigateur], le maître principal Yonnet [pilote], les maîtres Corneillet [mécanicien] et Scour [radio] et le second-maître Deschamps [mitrailleur bombardier]. Parti de Mérignac avec 18’000 litres d’essence, il larguera 80 bombes incendiaires de 10 kg chacune sur la capitale du « Reich ».
On pourrait aussi citer les combats acharnés livrés au niveau de la Loire par les élèves officiers de l’École de cavalerie de Saumur, alors que le maréchal Pétain venait d’annoncer qu’il demanderait un armistice. Ou encore la résistance héroïque des hommes du 23e Groupe de reconnaissance qui résistèrent à un contre dix à Xertigny [Vosges], le 18 juin 1940. Leur chef, le commandant Frédéric de Saint-Sernin, piégé dans l’hôtel de ville en flammes, sortit l’arme au poing au devant de l’ennemi…
Il ne s’agit là que de quelques faits d’armes, dont certains sont pourtant connus… Plus généralement, il est estimé que, proportionnellement, les pertes subies par l’armée allemande durant les six semaines de la campagne de France ont été plus élevées que pendant les six premiers mois de l’opération Barbarossa, lancée en juin 1941 contre l’URSS. Et elles ont également été supérieures – toujours proportionnellement – à la bataille de Verdun!
Aussi, écrire que les combattants de 1940 ont manqué « d’envie » pour se battre relève, au mieux, de l’ignorance ou, au pire, de la calomnie. Dans un cas comme dans l’autre, c’est une faute. Reste à voir si M. Attali rectifiera son propos dans une prochaine chronique, avec des excuses…