Ukraine : Les MiG-29 polonais au centre d’un imbroglio
Le 27 février, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a laissé entendre que des États membres de l’Union européenne [UE] étaient prêts à fournir à Kiev des avions de combat pouvant être mis en oeuvre par les forces aériennes ukrainiennes afin de les soutenir face à l’invasion de leur pays par la Russie.
« Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a dit avoir besoin d’avions que les Ukrainiens peuvent piloter. Certains états membre disposent de ce genre d’avions et nous allons les fournir avec d’autres armements nécessaires à une guerre », a-t-il en effet affirmé M. Borrell.
La liste des pays européens susceptibles de fournir de tels appareils se réduit à la Pologne, la Bulgarie et la Slovaquie, leurs forces aériennes respectives étant dotées de MiG-29 « Fulcrum » hérités, en partie de la période soviétique.
Seulement, les pays concernés étant proches [voire frontaliers] de l’Ukraine, aucun d’entre-eux n’a ensuite confirmé les propos de M. Borrell. Et pour cause : la menace se rapprochant de leurs frontières, il aurait été irresponsable pour eux de se priver d’une bonne partie de leur aviation de combat… Sauf éventuellement à obtenir un soutien accru de l’Otan, dont ils sont membres.
Cela étant, une semaine plus tard, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, est revenu à la charge. « Nous regardons maintenant activement la question des avions que la Pologne pourrait fournir à l’Ukraine et regardons maintenant comment nous pourrions compenser si la Pologne décidait de fournir ces avions », a-t-il dit. Ce qui a été confirmé par un responsable de la Maison Blanche. « Nous travaillons avec les Polonais sur ce dossier et nous consultons nos autres alliés de l’Otan », a-t-il en effet assuré, selon le Wall Street Journal.
En clair, pour que la Pologne consente éventuellement de céder ses MiG-29 à l’Ukraine, Washington envisagerait de lui livrer des F-16 supplémentaires, les forces aériennes polonaises utilisant déjà ce type d’appareil.
À noter également que l’Allemagne est également concernée, dans la mesure où certains MiG-29 polonais proviennent des stocks de la République démocratique allemande [RDA]. Ce qui fait que son autorisation est nécessaire pour pouvoir les transférer à l’Ukraine.
Quoi qu’il en soit, et après avoir affirmé qu’il n’était pas question de se séparer de ses MiG-29, la Pologne a fait volte-face, le 8 mars au soir.
« Les autorités de la République de Pologne […] sont prêtes à envoyer – immédiatement et gratuitement – tous leurs avions MiG-29 à la base aérienne de Ramstein [Allemagne] afin de les mettre à la disposition des États-Unis », a en effet annoncé le gouvernement polonais.
Et celui-ci d’ajouter : « Dans le même temps, la Pologne demande aux États-Unis de lui fournir des avions d’occasion dotés de capacités opérationnelles équivalentes. La Pologne est prête à établir immédiatement les conditions d’achat de ces avions ».
Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a ensuite donné quelques précisions lors d’une conférence de presse, à Oslo. « La Pologne n’est pas partie à cette guerre et l’Otan n’est pas partie à cette guerre. C’est pourquoi toute décision de livrer des armes offensives doit être prise par l’Otan tout entière, sur la base d’unanimité. C’est pourquoi nous sommes prêts à donner toute notre flotte d’avions de chasse à Ramstein, mais nous ne sommes pas prêts à faire quoi que ce soit tout seuls, parce que, comme je l’ai dit, nous ne sommes pas partie à cette guerre », a-t-il dit.
On pouvait penser qu’un pas important venait d’être franchi pour la livraison de MiG-29 à l’Ukraine. Sauf que les États-Unis ont, semble-t-il, été pris au dépourvu par l’annonce polonaise.
« À ma connaissance, nous n’avons pas été préalablement consultés sur le fait qu’ils prévoyaient de nous donner ces avions », a commenté Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques et numéro trois de la diplomatie américaine, lors d’une audition au Congrès.
Et pour le Pentagone, il n’est pas question de se retrouver avec les MiG-29 polonais sur les bras. C’est en effet ce qu’a affirmé John Kirby, son porte-parole.
It is simply not clear to us that there is a substantive rationale for it. We will continue to consult with Poland and our other NATO allies about this issue and the difficult logistical challenges it presents, but we do not believe Poland’s proposal is a tenable one. (4/4)
— John Kirby (@PentagonPresSec) March 8, 2022
« La perspective d’avions de combat ‘à la disposition du gouvernement des États-Unis’ partant d’une base États-Unis/Otan en Allemagne pour voler vers un espace aérien disputé avec la Russie au-dessus de l’Ukraine suscite de sérieuses préoccupations pour l’ensemble de l’Otan », a-t-il dit.
« Il n’est tout simplement pas clair pour nous qu’il existe une justification substantielle à cela. Nous continuerons de consulter la Pologne et nos autres alliés de l’Otan sur cette question et les difficiles défis logistiques qu’elle présente, mais nous ne pensons pas que la proposition de la Pologne soit tenable », a conclu M. Kirby.
Effectivement, il reviendrait aux États-Unis de livrer les MiG-29 polonais à l’Ukraine depuis l’Allemagne. Ce qui suppose déjà de trouver des pilotes… Mais cela pourrait surtout mettre Washington dans une posture de co-belligérant [voire l’Otan], ce qui provoquerait une escalade avec Moscou.
Photo : Force aérienne polonaise [Siły Powietrzne Rzeczypospolitej Polskiej]