En Ukraine, l’aviation de combat russe se fait pour le moment très discrète

On a coutume de dire que, dans une guerre, la première victime est le plan des opérations, longuement préparé avant le début des hostilités. A priori, celui qui avait été imaginé par l’état-major russe pour envahir l’est de l’Ukraine n’y a pas échappé, même si on ne connaît pas exactement les buts que Moscou cherche à atteindre.

Ici ou là, on trouve certains commentateurs pour s’étonner que les forces russes n’ont pas encore fait la conquête de Kiev au bout d’une semaine d’offensive. Or, ce n’est parce que l’on parle de « guerre éclair » [ou « blitzkrieg »] que l’invasion d’un pays doit se faire en quelques jours. La Bataille de France, lancé le 10 mai juin 1940, a pris fin un mois et quinze jours, malgré la résistance de l’armée française [quoiqu’on en dise], laquelle a perdu officiellement près de 60’000 hommes. L’opération « Iraqi Freedom », menée par les forces américaines en 2003, aura duré autant de temps, malgré une supériorité technologique écrasante.

Cela étant, à en croire Moscou, et après avoir fait la conquête de la région de Tchernobyl, les forces russes auraient fini par prendre le contrôle de la ville de Kherson et encercleraient désormais Marioupol [sud de l’Ukraine]. Cependant, elles éprouvent des difficultés dans l’est, notamment à Soumy [localité pourtant située près de la frontière] et à Kharkov [la seconde ville du pays, ndlr]. Dans les environs de Kiev, elles ont échoué à conquérir rapidement l’aéroport – stratégique – de Hostomel, malgré une opération héliportée de grande ampleur. Pour le moment, le sort de la bataille est incertain.

Reste que la manoeuvre des forces russes est étonnante à bien des égards. Ainsi, aucune mesure ne semble avoir été prise pour cacher leurs mouvements, ceux-ci pouvant être assez facilement documentés via les réseaux sociaux, lesquels permettent également la diffusion d’images de blindés détruits et abandonnés. Ce qui veut dire que les communications téléphoniques ne sont pas brouillées, alors que l’on suppose que la Russie a les moyens de le faire.

Un autre sujet d’étonnement est l’absence de moyens de lutte anti-drones, alors que les forces ukrainiennes ont reçu des drones Bayraktar TB-2 qui, de facture turque, furent utilisés non sans efficacité par l’armée azerbaïdjanaise lors de la dernière guerre du Haut-Karabakh. Des images ukrainiennes les montrant en action contre des blindés russes ont ainsi été diffusées. Mais la prudence est cependant de mise quant à leur authenticité.

Par ailleurs, il est rapporté que l’avancée des colonnes blindées russes est freinée par le manque de carburant, de nourriture, voire de munitions. En clair, la logistique ne suivrait pas. Or, une armée qui se veut moderne ne peut pas faire l’impasse sur de telles capacités. Et c’est un autre motif d’étonnement, dans la mesure où l’on peut supposer que le plan d’invasion de l’Ukraine a été préparé dans ses moindres détails et que cet aspect a dû faire l’objet d’une attention toute particulière.

Mais le plus frappant reste l’absence de l’aviation de combat russe dans les cieux ukrainiens. Dans les conflits modernes, la supériorité aérienne est l’une des clés du succès des opérations. Sauf que, a priori, les chasseurs-bombardiers russes se font discrets. Le Royal United Services Institute for Defence and Security Studies britannique [RUSI] y voit un mystère. Et il n’est pas le seul.

Au premier jour de l’offensive russe – appelée Zapad [comme les exercices menés tous les quatre ans avec la Biélorussie, ndlr] – les bases aériennes, les systèmes de défense aérienne S300 et les radars ukrainiens ont été visés par une salve de missiles [balistiques et de croisière]. Et cela afin de clouer au sol la force aérienne ukrainienne. Or, il se trouve que celle-ci a quand même réussi à faire décoller quelques uns de ses appareils [l’un de ses Su-27 a d’ailleurs été abattu au-dessus de Kiev, probablement par un tir ami].

On aurait pu s’attendre à ce que cette salve de missile soit suivie par des raids massifs de bombardiers – tactiques et stratégiques – afin d’éliminer définitivement les moyens aériens ukrainiens. Or, il n’en a rien été… Et, hormis quelques exceptions [un Su-34 « Fullback » a été aperçu au-dessus de Karkhov], les avions de combat russes restent sur la réserve.

Au point que des observateurs militaires, rapporte l’agence Reuters, ont constaté un manque de coordination entre les forces terrestres russes et leur aviation de combat, celles-ci étant par exemple dépourvues de couverture aérienne.

« Les Russes découvrent que la coordination d’opérations multi-domaines n’est pas facile. Et qu’ils ne sont pas aussi bons qu’ils le croyaient », a estimé le général David Deptula, un ancien de l’US Air Force, auprès de Reuters. Un point de vue partagé par le colonel Michel Goya. « La sous-efficacité des forces aériennes russes fait partie des éléments surprenants du conflit. On est loin, malgré l’expérience syrienne, de la précision, de la souplesse et des capacités de coordination interarmées des forces aériennes occidentales », a-t-il relevé.

Effectivement, les forces russes ont acquis une certaine expérience en matière d’opération multi-domaines lors de leur engagement en Syrie… Cela étant, sur ce théâtre, les chasseurs-bombardiers russes ont utilisé, la plupart du temps, des munitions non guidées…

Or, celles-ci sont inadaptées quand il s’agit de frapper dans des zones urbaines tout en évitant au maximum les dommages collatéraux. Ce qui expliquerait la discrétion des forces aériennes russes. Cela étant, si le plan d’invasion a été préparé de longue date, on peut penser que des stocks de munitions de précision ont été constitués…

Une autre raison possible est la crainte des missiles anti-aérien portatifs [MANPADS], comme les Stinger. Or, les forces ukrainiennes en ont reçu en nombre avant le début de l’invasion. Pour rappel, un tel système peut détruire un aéronef évoluant à 4’800 mètres d’altitude…

Toutefois, l’invasion de l’Ukraine a commencé il y a six jours… Et toutes les unités russes regroupées près de la frontière depuis plusieurs semaines n’ont pas encore été engagées. Ce qui suggère qu’une seconde phase sera bientôt lancée, la première ayant visé à éprouver les forces ukrainiennes avant une possible montée en gamme. L’avenir le dira.

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