Après des mois de préparation, les forces russes se lancent à l’assaut de l’Ukraine

« Les républiques populaires du Donbass se sont tournées vers la Russie pour lui demander de l’aide. À cet égard, conformément à l’article 51 de la partie 7 de la Charte des Nations unies, avec l’approbation du Conseil de la Fédération de Russie et en application des traités d’amitié et d’assistance mutuelle […] avec la république populaire de Donetsk et la république populaire de Louhansk, j’ai décidé de mener une opération militaire spéciale ». C’est par ces mots, prononcés lors d’une allocution télévisée diffusée durant la nuit du 23 au 24 février, que le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé une offensive de grande ampleur contre l’Ukraine, comme le laissait présager les importants mouvements de troupes signalées depuis plusieurs mois.

Quelques heures plus tôt, le chef du Kremlin avait été autorisé par le Parlement russe à envoyer des troupes dans les territoires contrôlés par les séparatistes pro-russes des « oblast » de Donetsk et de Louhansk. Peu après avoir obtenu ce feu vert, il avait déclaré qu’un tel déploiement n’était pas « imminent » et qu’il dépendrait de la « situation sur le terrain », avant de se dire favorale à une « démilitarisation » de l’Ukraine, qui « ferait mieux de choisir la neutralité » et de « renoncer à rejoindre l’Otan ».

D’après le rapport quotidien de la mission spéciale de surveillance [MSS] de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe [OSCE], 1710 violations du cessez-le-feu entre les séparatistes et les forces ukrainiennes avaient été constatées durant la durant la journée 22 février, alors que le déploiement d’une force russe de « maintien de la paix » dans les territoires tenus par les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk était en cours.

« Dans la région de Donetsk, la majorité des violations du cessez-le-feu ont été signalés dans la zone de Horlivka [non contrôlée par le gouvernement], au nord de Shyrokyne [contrôlée par le gouvernement], ainsi qu’au nord et à l’ouest de la ville de Donetsk [non contrôlée par le gouvernement]. Dans la région de Louhansk, […] La majorité des violations du cessez-le-feu ont été
constatés près de Kadiivka [anciennement Stakhanov, non contrôlé par le gouvernement, à 50 km] ainsi que dans et à proximité des zones de désengagement de Stanytsia Luhanska [contrôlées par le gouvernement] et de Zolote [contrôlée par le gouvernement, à 60 km à l’ouest de Louhansk] », lit-on dans ce rapport.

Quoi qu’il en soit, dans la foulée de l’allocution de M. Poutine, dont on ignore si elle avait été préalablement enregistrée ou si elle a été diffusée en direct, les forces russes ont effectué plusieurs frappes contre les bases et les centres de commandement ukrainiens se trouvant à proximité de grandes villes, dont certaines situées dans l’ouest du pays, comme Lviv et Odessa. À noter que cette dernière est à 100 km de Tiraspol, la capitale de la Transnistrie, région séparatiste moldave qui abrite la 14e armée russe.

Peu après, le ministère russe de la Défense a assuré que « l’infrastructure militaire des bases aériennes des forces armées ukrainiennes a été mise hors service » et que les « installations de défense anti-aérienne des forces armées ukrainiennes ont été détruites », grâce à l’emploi d’armes de « haute précision ». De son côté, Kiev a fait état de cinq « aéronefs » russes abattus, dont un bombardier tactique Su-24 « Fencer » et des hélicoptères. Ce que Moscou a démenti.

Dans le domaine naval, des images diffusées via les réseaux sociaux montrent le port militaire d’Ochakov [ou Ochakiv] en feu. On ignore combien de navires étaient à quai avant le début de l’offensive russe.

Par ailleurs, et alors que la mer d’Azov a été fermée par les autorités russes [ce qui sonnerait le glas pour le port stratégique de Marioupol, situé dans l’oblast de Donetsk], une opération amphibie russe a été signalée à Odessa. Mais, pour le moment, elle n’a pas été confirmée officiellement.

En revanche, les autorités ukrainiennes ont affirmé que les troupes russes qui avaient été déployées en Biélorussie pour un exercice dont l’ampleur avait été sans précédent depuis la Guerre Froide, se sont mises au mouvement pour franchir la frontière, après des tirs d’artillerie. A priori, des lance-roquettes multiples TOS-1 Buratino , de 220 mm sont impliqués dans la manoeuvre.

« Des véhicules militaires russes, y compris des blindés, ont violé la frontière dans les régions de Tcherniguiv [nord, frontière béliorusse], Soumy [nord-est, frontière russe], Louhansk et Kharkiv [est, frontière russe] ainsi que par le point de passage entre la Crimée et la partie continentale de l’Ukraine », ont en effet indiqué les gardes-frontières ukrainiens.

Deuxième ville d’Ukraine située près de la frontière avec la Russie, et théâtre de quatre batailles durant la Seconde Guerre Mondiale, Kharkov [ou Kharkiv] serait encerclée par les forces russes, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant des blindés en flammes.

Pour le moment, on ne peut que se livrer à des suppositions sur les objectifs de la Russie. L’ampleur de l’offensive qu’elle vient de lancer ainsi que les zones où elle se déroule suggèrent que ses forces armées iront au-delà des régions administratives de Donetsk et de Louhansk. Il n’est donc pas impossible que Moscou cherche à redessiner la frontière de « l’Ukraine moderne » [dixit Vladimir Poutine] en l’arrêtant au fleuve Dniepr. En outre, si les opérations à Odessa se confirment, il se pourrait qu’une jonction avec la Transnitrie [pro-russe] soit recherchée. Peut-être que, par la suite, et en cas de succès militaire, ces territoires feront ensuite partie d’un État-tampon, créé de toute pièce.

« Les événements d’aujourd’hui ne sont pas liés à la volonté de porter atteinte aux intérêts de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Ils sont liés à la protection de la Russie elle-même contre ceux qui ont pris l’Ukraine en otage et tentent de l’utiliser contre notre pays et son peuple », a cependant justifié le chef du Kremlin, dans son allocution.

Et celui-ci de préciser que l’opération qu’il venait de lancer a pour objectif de « protéger les personnes victimes d’intimidation et de ‘génocide’ par le régime de Kiev depuis huit ans » et que, par conséquent, il s’agit « de démilitariser et de ‘dénazifier’ l’Ukraine, ainsi que de traduire en justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris des citoyens de la Fédération de Russie ». Et d’ajouter : « Dans le même temps, nos plans n’incluent pas l’occupation des territoires ukrainiens ».

En attendant, le déclenchement de cette offensive russe contre l’Ukraine a suscité des réactions indignées, en particulier chez les Occidentaux. La Chine a dit surveiller la situation « de près » et « exhorter toutes les parties à faire preuve de retenue pour éviter que la situation ne devienne hors de contrôle ».

En tout cas, plusieurs pays ayant des frontières communes avec l’Ukraine, comme la Pologne [un raid russe a visé la ville ukrainienne de Lutsk, a seulement 80 km de sa frontière, nldr], les trois États baltes et la Roumanie, ont invoqué l’article 4 du traité de l’Atlantique-Nord. Celui-ci précise que « les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée ».

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