L’action dans la « zone grise » sera le futur terrain privilégié des forces spéciales françaises

Créé en 1992, soit après la fin de la Guerre Froide, le Commandement des opétations spéciales [COS] a surtout à agir dans des environnements instables et à faire face, les plus souvent, à des adversaires « irréguliers », comme le sont, par exemple, les groupes armés terroristes. Or, le retour de l’hypothèse d’un engagement de haute intensité ainsi que les modes d’action dits « hybrides » changent la donne…

Aussi, les forces spéciales françaises devront évidemment s’adapter à ce nouveau contexte, caractérisé par le continuum « compétition/contestation/affrontement » que le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], a décrit dans la « Vision stratégique » dévoilée en octobre dernier, tout en négligeant pas le contre-terrorisme.

Celui-ci, écrit le colonel Laurent Bansept, dans une note de l’IFRI [.pdf], devrait « rester dans les prochaines années une mission essentielle des
forces spéciales françaises », lesquelles « y mettront en œuvre les savoir-faire éprouvés, bâtis au cours des quinze dernières années, qui vont du ciblage des IHV [individus à haute valeur] par des moyens cinétiques jusqu’aux actions dans les champs immatériels et cognitifs ».

Cela étant, dans la compétition « stratégique » actuelle, ces savoir-faire seront toujours déterminants, ne serait-ce que, par exemple, pour contrer des groupes armés irréguliers instrumentalisés par des puissances hostiles, ce que le colonel Bansept appelle la « milicianisation de la guerre ». Ainsi, selon lui, « les opérations spéciales devront aussi permettre de mieux connaître ces acteurs pour les contrer ou, à l’inverse, pour soutenir ceux pouvant contribuer à nos intérêts ».

Mais, dans le même temps, les forces spéciales auront aussi à agir dans la « zone grise militarisée », où certains « compétiteurs » développent des stratégies hybrides qui « demeurent sous le seuil de l’agression armée caractérisable en droit international », afin de contourner les mécanismes de sécurité collective et faire avancer leurs intérêts.

« Leur manœuvre peut relever aussi bien d’opérations non cinétiques de déstabilisation [par intoxication informationnelle, cyberattaque, sabotage économique, etc.] que d’actions paramilitaires par le truchement d’intermédiaires, rendant l’ensemble difficilement détectable et lisible pour l’adversaire comme pour les observateurs », note le colonel Bansept, pour qui « l’action dans la ‘zone grise’ apparaît comme le futur terrain privilégié des opérations spéciales ».

La Vision stratégique insiste paticulièrement sur ce point, en suggérant que les forces françaises doivent s’approprier de tels modes opératoires « hybrides » dans le « respect des principes qui fondent nos actions » afin qu’elles soient en mesure de les contrer. Plus précisément, selon le général Burkhard, pour qui il s’agit de « gagner la guerre avant la guerre », il est nécessaire qu’elles soient en mesure de « contribuer à la connaissance des capacités et des intentions des différents compétiteurs et de proposer en permanence des options militaires pertinentes au décideur politique », de « contribuer à lever l’incertitude et empêcher l’imposition d’un fait accompli » et de « détecter les signaux faibles qui permettent d’anticiper la bascule vers l’affrontement ». De telles tâches pourraient donc revenir au COS.

C’est, en tout cas, ce qu’avance le colonel Bansept. Dans les « zones grises », les opérations spéciales y ont « d’abord pour objet de tester et de lever les doutes sur les intentions exactes de l’adversaire et d’imputer l’agression », explique-t-il. Et d’ajouter : « Ces actions peuvent ensuite permettre de rompre l’escalade, même temporairement, et contribuer à décourager son entreprise », leur succès reposant « avant tout sur la surprise, l’hétérodoxie des modes d’actions et la maîtrise des risques, offrant une réponse graduée et flexible au décideur politique ».

Cependant, les forces spéciales françaises doivent aussi se préparer à un engagement « majeur » [ou de haute intensité]. Dans un tel cas de figure, leur mission serait de faciliter l’action des forces « classiques » face aux capacités de déni et d’interdiction d’accès [A2/AD] de l’adversaire, en visant ses défenses sol-air ou littorales. Le colonel Bansept estime qu’elles pourraient aussi « s’attaquer aux forces spéciales adverses [actions ‘SOF to SOF’] », mener des « opérations de diversion », voire « conduire des actions indirectes via l’exploitation et/ou le soutien des forces d’opposition aux régimes adverses, qu’elles soient subversives ou paramilitaires ». En somme, il s’agit de revenir aux fondamentaux qui ont été quelque peu négligés depuis la fin de la Guerre Froide.

Pour l’officier, les opérations spéciales auront à s’adapter en conséquence. Au-delà des aspects capacitaires, il estime qu’elles doivent gagner en furtivité, en « privilégiant des dispositifs légers et peu visibles », en capacités de pilotage de leurs relais, qui peuvent être des « unités militaires ou paramilitaires, des organisations, des entreprises, voire de simples individus, cadres politiques, facilitateurs ou experts », et « pleinement exploiter leur stature internationale ».

Photo : FORFUSCO – Marine nationale

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