SCAF : Un accord entre Dassault Aviation et Airbus sur le futur avion de combat est-il possible?
Lors des auditions parlementaires de l’automne dernier, le Délégué général pour l’armement [DGA] s’était montré optimiste après la signature, quelques semaines plus tôt, de l’arrangement d’application n°3 [IA3] relatif au Système de combat aérien du futur [SCAF], un programme mené en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne.
Cette étape, censée ouvrir la voie à un démonstrateur du NGF [New Generation Fighter], c’est à dire l’avion de combat sur lequel reposera ce « système de systèmes » que sera le SCAF, avait été atteinte après des mois de discussions tendues entre Dassault Aviation, désigné maître d’oeuvre, et les filiales allemande et espagnole d’Airbus. Et surtout après le feu vert accordé, du bout des lèvres, par le Bundestag [chambre basse du Parlement allemand].
Après la signature de l’IA3, la Direction générale de l’armement [DGA], « en tant qu’agence contractante, doit notifier le contrat, au nom des trois pays, aux maîtres d’œuvre des cinq principaux piliers du programme – l’avion, le moteur, le cloud de combat, les effecteurs déportés et les capteurs. Le contrat doit être signé par chaque maître d’œuvre », avait rappelé M. Barre aux députés, le 14 octobre dernier.
« Airbus Allemagne, chargé du cloud de combat et des effecteurs déportés, l’a signé. La coentreprise Eumet – qui réunit Safran Aircraft Engines et MTU Aero Engines –, maître d’œuvre du moteur, ne devrait pas tarder à le signer. Nous attendons la signature de la maison Dassault, maître d’œuvre de l’avion, qui mène des négociations difficiles sur l’organisation et le partage du travail avec ses partenaires principaux que sont Airbus Allemagne et Airbus Espagne. Nous devons traiter cette difficulté au cours des semaines à venir, pour aboutir mi-novembre à la signature du contrat », avait ensuite expliqué le DGA.
Seulement, deux mois plus tard, Dassault Aviation et Airbus ne s’étaient toujours pas mis d’accord sur le partage des tâches et les questions de propriété intellectuelle, contrairement à ce que laissait supposer la signature de l’IA3. Ce qu’a admis Florence Parly, la ministre des Armées, lors d’une audition.
« Nous avons quasiment tout réglé. Il nous manque un contrat… C’est le contrat finalement principal , qui prend un peu de temps parce qu’il est complexe. Il concerne ce que l’on appelle au sein du programme SCAF le pilier dédié à l’avion de combat », avait-elle expliqué aux députés. Et de préciser : « Il y a encore des sujets qui sont à régler. Pourquoi les choses sont difficiles? Parce que nous sommes exigeants sur un principe essentiel qui est celui d’avoir un leader par grand domaine et que ce leader ait des responsabilités bien identifiés ».
Pour rappel, et après avoir fait quelques concessions, l’industriel français entend disposer des leviers devant lui permettre d’assurer la maîtrise d’oeuvre, en particulier dans les domaines des commandes de vol du NGF, de l’architecture fonctionnelle [dont dépendront ses capacités opérationnelles du NGF], le cockpit [et plus précisément l’interface homme-machine] et la furtivité.
Par ailleurs, depuis la signature de l’IA3, la situation a évolué : Dassault Aviation a confirmé sa légitimité de maître d’oeuvre du NGF avec de nouveaux succès à l’exportation pour le Rafale tandis que, outre-Rhin, l’hypothèse du F-35A pour remplacer les chasseurs-bombardiers Tornado dédié aux missions nucléaires de l’Otan a refait surface, à la faveur de l’entrée en fonction d’une nouvelle coalition gouvernementale, formée par les sociaux-démocrates [SPD], les écologistes et les libéraux du FDP. Même chose pour… l’Espagne, qui envisage aussi le F-35B [la variante à décollage court et à atterrissage vertical] pour remplacer les AV-8 Harrier II de son aéronautique navale.
Quoi qu’il en soit, ce qui devait être réglé en « quelques semaines », selon le DGA, ne l’est toujours pas. Invité, le 26 janvier, par l’Association des journalistes économiques et financiers en sa qualité de président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie [UIMM], Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, a évoqué les blocages concernant le NGF et les discussions avec Airbus.
« Nous avons encore des difficultés avec Airbus », ainsi déclaré M. Trappier, dont les propos ont été rapportés par l’agence Bloomberg. « Ce n’est pas toujours facile de négocier avec les Allemands », a-t-il ajouté, avant d’insister sur le fait qu’Airbus doit « accepter que l’expertise sera en France et pas ailleurs ».
Reste que les discussions avec la filiale allemande d’Airbus sont « embourbées », faute d’accord sur le partage des tâches. Qui plus est, M. Trappier, l’éventualité d’un achat par l’Allemagne de F-35A « pèse également sur le projet ».
D’après Bloomberg, le Pdg de Dassault Aviation a évoqué un « plan B » en cas d’échec des discussions avec Airbus, qui n’a pas la même vision sur « la manière dont l’industrie devrait être organisée pour développer un avion » de combat. Et ce n’est pas la première fois qu’il le fait.
« Mon plan B, ce n’est pas forcément de le faire tout seul, c’est de trouver une méthode de gouvernance qui permette d’emmener des Européens, mais pas dans les règles qui ont été fixées aujourd’hui [pour le SCAF] car ça, ça ne marchera pas », avait en effet expliqué M. Trappier, lors d’une audition au Sénat, en mars 2021. Et d’insister : »
C’est toujours long de bâtir un plan B et quand vous avez bâti votre plan B et que vous êtes sûrs qu’il va marcher, il devient le plan A ».
Photo : Rama, CC BY-SA 3.0 fr