L’Ukraine reproche à l’Allemagne de bloquer ses commandes d’armes passées via l’Otan
Peu après avoir pris les rênes du ministère allemand de la Défense, Christine Lambrecht a tenu des propos résolument fermes à l’encontre de Moscou, alors que des mouvements de troupes russes étaient encore constatés près de l’Ukraine.
Ainsi, dans un entretien donné l’hebdomadaire allemand Bild am Sonntag, le 19 décembre, Mme Lambrecht e a estimé que le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, devrait « ressentir personnellement les conséquences » de ses actions et ne plus être autorisé à « faire du shopping sur les Champs Elysée à Paris ». Et d’ajouter que l’Union européenne [UE] doit « utiliser tous les outils à sa disposition » pour sanctionner la Russie en cas d’offensive contre l’Ukraine.
En outre, la nouvelle ministre n’a pas écarté un éventuel envoi de troupes allemandes en Ukraine, à la condition, toute fois, qu’une telle mesure soit « étroitement coordonnée » au sein de l’Otan et que « toutes les autres options, y compris les sanctions économiques et diplomatiques » soient « épuisées ».
Son homologue du ministère des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, n’est pas allée aussi loin. Si, le 22 décembre, elle a fait part de sa « grande préoccupation » après que le président russe, Vladimir Poutine, a évoqué « des mesures militaires et techniques adéquates de représailles » dans le cas où l’Otan continuait à avoir une attitude qu’il juge hostile à l’égard de son pays, la cheffe de la diplomatie allemande a aussi insisté sur la nécessité d’un dialogue avec Moscou.
Il est important que nous retournions à la table des négociations » avec la Russie « dans le cadre du format Normandie » [qui réunit également l’Allemagne, la France et l’Ukraine] », a-t-elle déclaré. Il faut également utiliser la possibilité offerte dans le cadre du conseil Otan-Russie » de « parler ensemble et de contribuer à ce que nous puissions empêcher une nouvelle escalade », a-t-elle continué, alors qu’elle venait d’envoyer l’un de ses secrétaires d’État à Kiev afin d’exprimer la solidarité de Berlin aux autorités ukrainiennes.
Plus tôt, cependant, Mme Baerbock avait mis le gazoduc Nord Stream 2 dans la balance. Au regard du contexte sécuritaire, « il été convenu entre les Américains et l’ancien gouvernement [d’Angela Merkel] « qu’en cas de nouvelle escalade, ce gazoduc ne pourrait entrer en service », avait-elle rappelé, le 13 décembre, à l’antenne de la ZDF.
Seulement, sur ce point, le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz s’est montré plus ambigu, laissent le soin à l’UE de décider de l’avenir de Nord Stream 2… Mais l’ancienne coalition gouvernementale à laquelle il a participé en tant que ministre des Finances a pu aussi avoir une attitude déconcertante à l’égard de Kiev. En tout cas c’est ainsi que les autorités ukrainiennes l’ont jugée, espérant qu’il en ira autrement à l’avenir…
En effet, mi-décembre, dans un entretien au Financial Times, le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiy Reznikov, a accusé Berlin d’avoir bloqué la livraison d’armes que Kiev avait commandées via l’Agence de soutien et d’acquisition de l’Otan [NSPA]. Et cela parce que celles-ci étaient considérées comme « létales », et donc de nature à fâcher Moscou. Du moins était-ce l’interprétation qu’il en a donné. Aussi, a-t-il poursuivi, l’Ukraine « cherchera en conséquence à se procurer des armes via des accords bilatéraux avec des alliés, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Lituanie et la France ».
Quant aux armes en question, il s’agit de 90 fusils de précision Barrett M82 de facture américaine et de 20 systèmes anti-drone EDMS4S-UA produits en Lituanie. Et, selon les explications de la NSPA, le consensus de tous les membres de l’Otan est requis pour pouvoir effectuer les livraisons de tels équipements.
Plus tard, le président ukrainien, Volodymyr Zelenski, a repris les propos de son ministre de la Défense à l’occasion d’un entretien accordé au quotidien La Repubblica. « L’Allemagne nous a récemment empêché de recevoir des systèmes d’armes pour notre défense, dans le cadre de la coopération avec l’Otan. Tout État démocratique qui a à se protéger contre des agressions doit avoir le droit d’acquérir ce type d’armes défensives », a-t-il fait valoir.
Depuis, Berlin a levé son veto pour les systèmes anti-drones… Mais pas pour le reste. D’où les propos tenus ce 28 décembre par Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, auprès de l’agence de presse RBC.
« Pour moi, c’est une question politique fondamentale, car il n’y a pas de restrictions, ni d’embargo sur les ventes d’armes à l’Ukraine. Nous sommes pays responsable sur le marché international de l’armement. Aussi, toute restriction est imposée non pas pour des motifs juridiques ou de sécurité, mais uniquement pour des raisons politiques. Je pense que s’agissant de l’Allemagne, de telles restrictions ne correspondent pas à l’esprit et à la nature de nos relations bilatérales », a ainsi fait valoir M. Kuleba. Et d’insister : « Je veux juste dire que nous considérons cette situation comme inacceptable ».
Reste à voir ce que Berlin décidera, au regard du contexte actuel… Le nouveau ministre allemand de l’Économie, l’écologiste Robert Habeck [qui est aussi par ailleurs vice-chancelier] a déjà déclaré que les demandes ukrainiennes pour des « armes défensives » seraient « difficiles à refuser ».