L’accord de la future coalition allemande n’est pas très encourageant pour les projets d’armement menés avec la France

Au concept d’autonomie stratégique européenne, que défend la France, la nouvelle coalition gouvernementale allemande, appelée « tricolore » car formée par les sociaux-démocrates, les écologistes et les libéraux, préfére utiliser l’expression « souveraineté stratégique européenne » [ou « strategische Souveränität Europas »], laquelle figure à deux reprises dans le programme de 177 pages [.pdf] que celle-ci vient de publier, ce 24 novembre. Et notamment pour ce qui concerne les domaines de l’approvisionnement énergétiques, les matières premières, la santé, et le numérique.

Sur ce point, et dans un entretien donné en novembre 2020 à la revue « Le grand continent », le président Macron avait concédé que la formule « souveraineté stratégique européenne » était « un peu excessive » car « s’il y avait une souveraineté européenne, il y aurait un pouvoir politique européen pleinement installé ».

Et d’ajouter : « J’espère que la prochaine élection nous permettra de le faire. Si nous voulions une souveraineté européenne, il faudrait sans doute des dirigeants européens pleinement élus par le peuple européen. Cette souveraineté est donc, si je puis dire, transitive. Mais entre ce que font la Commission, le Conseil où siègent des dirigeants élus par leur peuple et le Parlement européen, émerge une forme de souveraineté nouvelle, qui n’est pas nationale, mais européenne ».

Le président français trouvera-t-il un terrain d’entente à ce sujet avec Olaf Scholz, le futur chancelier allemand, s’il est réélu en mai prochain? En tout cas, le « couple » franco-allemand, si souvent mis en avant de ce côté du Rhin, n’est évoqué qu’une seule fois dans l’accord de gouvernement qui vient d’être dévoilé. Il y est ainsi question de maintenir un « partenariat fort » via le Traité d’Aix-la-Chapelle et l’Assemblée parlementaire franco-allemande qui en est issue.

Cela étant, il faudra s’attendre à quelques frictions… L’accord ne mentionne pas la défense européenne [Europäische Verteidigung], pas plus que l’Europe de la défense [Verteidigung Europa]. En revanche, il y est réaffirmé que l’Alliance atlantique est un « pilier central » et que « l’Otan est un élément indispensable » à la sécurité de l’Allemagne. Cependant, il est question que les forces allemandes « renforcent le pilier européen de l’Otan » et d’une « coopération plus intense entre l’Otan et l’UE [Union européenne] ».

Par ailleurs, étant donné la participation du parti « Die Grünen » [Les Verts] à la coalition, laquelle n’est pas inédite, la présence de bombes nucléaires tactiques B-61 sur le sol allemand dans le cadre des plans nucléaires de l’Otan aurait pu éventuellement être remise en question… Ce ne sera pas le cas. « Tant que les armes nucléaires joueront un rôle dans le concept stratégique de l’Otan, l’Allemagne a intérêt à participer aux discussions stratégiques et aux processus de planification », lit-on dans le document.

En conséquence, l’accord gouvernemental confirme l’acquisition de nouveaux chasseurs-bombardiers américains pour remplacer les PANAVIA Tornado qui assurent actuellement la mission nucléaire au profit de l’Otan. Mais le type de ces futurs appareils n’est pas précisé, alors que la coalition sortante avait annoncé un choix en faveur du F/A-18 Super Hornet de Boeing. Sera-t-il remis en cause au profit d’un autre type d’appareil, comme le F-35?

Toutefois, le document affirme que l’Allemagne souscrit à l’objectif d’un monde sans armes nucléaires [dit « Global Zero »]… Et que, par conséquent, elle oeuvrera en faveur d’un désarmement devant aussi associer la Chine. Ce qui passera notamment par un statut « d’observateur » au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires des Nations unies [TIAN].

Dans le même registre, la prochaine coalition allemande a l’intention de durcir les règles en matière d’exportation d’équipements militaires… Y compris au niveau de l’UE, en cherchant à y associer les États membres.

Quant aux capacités de la Bundeswehr, l’accord recèle une surprise de taille : alors que les sociaux-démocrates et les écologistes s’y sont jusqu’à présent toujours opposés, il prévoit de doter les forces allemandes de drones armés, mais avec des conditions d’emploi strictes. En revanche, ces dernières ne seront pas autorisés à s’équiper en systèmes létaux autonomes.

« Le mandat et la mission de la Bundeswehr doivent être fondés sur les défis stratégiques et les menaces de notre temps. Le profil de ses capacités doit en découler. Conformément à son mandat et à ses missions, elle doit disposer des meilleurs moyens humains, matériels et financiers possibles », affirme le document.

Et celui-ci d’ajouter : « Les structures de la Bundeswehr doivent être rendues plus efficaces et efficientes afin d’augmenter la disponibilité opérationnelle. Pour ce faire, nous soumettrons le personnel, le matériel et les finances à un inventaire critique ».

S’agissant des équipements, l’accord gouvernemental parle de « renforcer la coopération dans le domaine des technologies de défense en Europe, en particulier avec des projets de haute qualité, en prenant en compte les technologies clés nationales et en permettant aux petites et moyennes entreprises d’y participer ». On n’y trouve aucun mot sur les programmes actuellement menés en partenariat avec la France, comme le Système de combat aérien du futur [SCAF] ou le char de combat du futur [MGCS – Main Ground Combat System], qui sont pourtant structurants.

Mais, comme on l’a vu avec le programme MAWS [Maritime Airborne Warfare System], mis en péril avec la décision allemande d’acquérir cinq avions américains P-8A Poseidon, l’accord de la coalition estime que les achats de systèmes déjà disponibles sur le marché doivent être prioritaires, « afin d’éviter des déficits capacitaires ». Reste à voir comment cela va se traduire dans les mois à venir.

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