Sous-marins/Australie : Évoquant Mers el-Kébir, l’amiral Vandier appelle à « ne pas se tromper de cible »

Le 15 septembre, le Premier ministre australien, Scott Morrison, annonça l’annulation de l’achat de 12 sous-marins océaniques de conception française pour les besoins de la Royal Australian Navy [RAN], au profit de modèles à propulsion nucléaire, développés dans le cadre d’une alliance « AUKUS », qui, réunissant les États-Unis et le Royaume-Uni pour contrer les ambitions chinoises dans la région Indo-Pacifique, avait été élaborée en toute discrétion.

Évidemment, la France prit très mal cette rupture de contrat [et même de partenariat stratégique]. Ce qui donna lieu à une tempête diplomatique, Paris ayant rappelé ses ambassadeurs en poste à Washington et à Canberra.

Depuis, les relations entre la France et les États-Unis se sont améliorées… le président Macron et son homologue américain, Joe Biden, ayant affiché leur réconciliation le 29 octobre, en marge du sommet du G20, à Rome. Au point que la déclaration conjointe publiée à l’issue de leur rencontre parle d’un soutien de Paris « aux efforts visant à conclure un arrangement administratif entre l’Agence européenne de défense et les États-Unis », ce qui permettrait une éventuelle participation de l’industrie américaine de l’armement à des projets européens…

Quoi qu’il en soit, M. Biden a reconnu que les États-Unis n’avaient pas agi avec « beaucoup d’élégance » dans l’affaire des sous-marins australiens. Mais, dans un second temps, il a dit avoir eu « l’impression que la France avait été informée très en amont que le contrat [en question] ne se ferait pas ». Et d’insister auprès de M. Macron : « Devant Dieu, je vous assure que je ne savais pas que vous ne l’aviez pas été ».

En revanche, il en va tout autrement avec l’Australie. Le 31 octobre, M. Macron a affirmé qu’il « savait » que le Premier ministre australien lui « avait menti ». Puis, à l’intention des Australiens, il a ajouté : « J’ai beaucoup de respect pour votre pays et beaucoup de respect et d’amitié pour votre peuple » mais « quand on a du respect, on doit être deux et se conduire conformément à ces valeurs ».

Deux jours plus tard, un SMS envoyé par M. Macron à Scott Morrison deux jours avant la rupture du contrat sur les sous-marins a « fuité » dans la presse australienne, ce qui a mis l’Élysée en colère, selon le quotidien « Le Parisien« . « Divulguer le SMS d’un échange entre chefs d’État ou de gouvernement, c’est une méthode assez inélégante et particulière », a fait valoir la présidence française.

« Dois-je m’attendre à de bonnes ou mauvaises nouvelles pour nos ambitions communes en matière de sous-marins? », aurait ainsi demandé le président français au chef du gouvernement australien. Ce qui donnerait du crédit à l’hypothèse que M. Macron avait des doutes sur le contrat avant son annulation par Canberra…

Quoi qu’il en soit, pour le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier, il ne « faut pas se tromper de cible » dans cette affaire. C’est en effet ce qu’il a déclaré lors d’une audition à l’Assemblée nationale [et dont le contenu vient d’être publié].

« Je vous invite à relire le discours du général de Gaulle, prononcé au lendemain de l’attaque de Mers-el-Kébir », a en effet dit le CEMM aux députés, qui l’interrogeaient sur l’alliance AUKUS, en faisant référence à « l’affreuse canonnade d’Oran », au cours de laquelle la Royal Navy mit hors de combat l’escadre française qui y était basée, le 3 juillet 1940.

« En dépit du caractère funeste de cet épisode, au cours duquel près de 1300 marins français ont été tués alors qu’ils tentaient de contrer l’assaut des Britanniques, le général avait appelé à ne pas se tromper de cible : l’Allemagne demeurait le véritable ennemi de la France. Il convient d’aborder l’AUKUS avec la même prudence », a poursuivi l’amiral Vandier.

S’il a estimé que cette affaire était « inacceptable entre alliés », « tant sur le fond que sur la forme », celui-ci a fait valoir qu’elle était néanmoins un « très bon indicateur de la perception de l’accroissement des tensions par de nombreux pays dans la zone indo-pacifique ».

En attendant, sur le plan pratique, cette affaire n’est évidemment pas sans conséquences. « L’officier australien qui avait intégré mon état-major quittera ses fonctions l’été prochain et ne sera pas remplacé. De plus, nous avons suspendu la coopération de nos forces sous-marines avec l’Australie. Enfin, nous avons annulé l’embarquement d’un cadet australien pour la campagne Jeanne d’Arc 2022, ainsi que l’envoi d’un ancien commandant de SNA [sous-marin nucléaire d’attaque, ndlr] à l’Académie militaire d’Australie », a détaillé le CEMM.

Cela étant, quelques coopérations sont maintenues. « Nous conserverons les points d’escale que nous partageons avec l’Australie pour ravitailler la base antarctique de Dumont d’Urville. Nous aurons aussi l’occasion de croiser les Australiens lors d’exercices multinationaux dans l’océan Indien et dans le Pacifique », a expliqué l’amiral Vandier. « Encore une fois, ne nous trompons pas d’ennemi », a-t-il insisté.

D’autant plus que la brouille avec l’Australie risque de poser des problèmes pour la maintenance des navires français déployés dans la région Indo-Pacifique. Une étude a ainsi été menée pour trouver des bassins de radoub pouvant accueillir des bâtiments ayant des avaries. « Ces facilités de maintenance supposent un tissu industriel local qui soit en mesure de réparer nos navires, au moins pour ce qui concerne la coque, les machines et les installations électriques. Elles posent aussi la question de la capacité à ravitailler le navire en munitions et d’opérer des rotations de personnels », a souligné le CEMM.

Or, la conclusion de cette étude avait naturellement « conduit à se tourner vers l’Australie, choix tout à fait cohérent compte tenu du FSP [Future Submarine Program] et des paramètres géographiques », a dit l’amiral Vandier. Et de s’interroger : « Cette option sera-t-elle maintenue après l’AUKUS? »

Photo : SNA Emeraude, lors de la mission Marianne, dans la région Indo-Pacifique, en novembre 2021

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