Pour le Sénat, une commission d’enquête sur l’affaire des sous-marins australiens n’est pas « adaptée »

Pourquoi les autorités françaises n’ont-elles rien vu venir en Australie, où la décision d’annuler l’acquisition de 12 sous-marins océaniques « Shortfin Barracuda » a été prise au profit des États-Unis et du Royaume-Uni? Pour répondre à cette question [et à d’autres], certains élus ont demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire, comme les sénateurs socialistes.

Le 22 septembre, lors d’une séance de questions au gouvernement, cette affaire des sous-marins australiens avait donné lieu à un vif échange entre le sénateur Rachid Temal et la ministre des Armées, Florence Parly, celle-ci ayant soupçonné le Sénat d’avoir l’intention de « s’ériger en juge et en procureur ».

« Il faut que le gouvernement d’Emmanuel Macron supporte qu’il y ait un Parlement. Le rôle du Parlement ce n’est pas seulement de faire la loi, c’est aussi de contrôler l’action du gouvernement », avait ensuite réagi Bruno Retailleau, le président du groupe « Les Républicains » [LR] au Sénat. Et d’ajouter : « Est-ce que cette affaire de la rupture du contrat français est une affaire d’Etat ? Oui, c’est parfaitement normal que nous nous posions des questions ».

Vice-président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, Cédric Perrin [LR] n’avait pas écarté l’idée d’une commission d’enquête parlementaire. « On n’est pas là pour faire la chasse aux sorcières. Le but c’est d’obtenir des explications sur cette tragique affaire qui a des conséquences graves pour la diplomatie, l’industrie, pour le positionnement de la France dans l’Indo-Pacifique et puis, il faut le dire pour la Nouvelle Calédonie », fit-il valoir.

Mais avant de créer une éventuelle commission d’enquête, il fut décidé d’auditionner d’abord les principaux acteurs du dossier. « Si les résultats [des auditions] ne sont pas à la hauteur de nos attentes, l’article 22 ter [du règlement du Sénat] nous permettra de transformer la commission en commission d’enquête et de pouvoir aller plus loin dans nos investigations », avait alors prévenu M. Perrin.

C’est ainsi que la commission des Affaires étrangères et de la Défense a pu écouter Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères [et qui était celui de la Défense au moment de l’attribution du « contrat du siècle » à Naval Group par Canberra, nldr], Florence Parly, Bernard Émié, le Directeur général de la sécurité extérieure, et Pierre Éric Pommellet, le Pdg de Naval Group, les auditions des deux derniers ayant eu lieu à huis clos.

Visiblement, les réponses données aux sénateurs ont été jugées satisfaisantes. Du moins, c’est ce qu’a estimé le bureau de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, présidée par le sénateur [LR] Christian Cambon. « La majorité du bureau a considéré qu’une commission d’enquête ne permettrait pas d’aller beaucoup plus loin », a-t-il dit, le 27 octobre, à l’AFP.

Seulement, cette décision a été mal accueillie par les sénateurs socialistes. « La droite sénatoriale acte l’incompétence du Parlement à exercer son pouvoir de contrôle de l’exécutif pourtant garanti par la Constitution », ont-ils dénoncé, via un communiqué. « La majorité de droite vient de bâillonner le Sénat », a enchéri M. Temal, leur porte-parole.

La commission a cependant donné les raisons de sa décision de ne pas pousser plus loin les « investigations ». Ainsi, les auditions ont « permis de confirmer les éléments parus dans la presse », en particulier que l’Australie « avait rompu le contrat non en raison d’un échec du programme, mais en raison d’une volte-face et d’un abandon de tous les objectifs qu’elle disait rechercher » et que « nos partenaires ont fait le choix délibéré et répété de tromper jusqu’au dernier moment le gouvernement français, ce qui est incontestablement le sujet le plus important de cette crise, dont les conséquences pour la France dépassent très largement les enjeux industriels du contrat de sous-marins ».

Dans ces conditions, sauf à convoquer le Premier ministre australien, le président américain ou bien encore le chef du gouvernement britannique, former une commission d’enquête ne servirait pas à grand chose… C’est d’ailleurs ce que souligne M. Cambon.

« Ce sujet ne permet pas d’utiliser les outils principaux des commissions d’enquête [convocation des personnes et témoignages sous serment, d’une part, et contrôles sur pièces et sur place, d’autre part], car aucun de ces outils ne pouvait être utilisé à l’encontre de gouvernements étrangers », fait valoir la commission qu’il préside.

Qui plus est, « l’essentiel du dossier est susceptible d’être hors du champ ouvert aux commissions d’enquête par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires [les rapporteurs des commissions d’enquête étant « habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat] », poursuit-elle.

Cependant, la commission sénatoriale va continuer à suivre cette affaire, le lancement d’une mission d’information sur « la définition de la place que la France peut revendiquer dans une région indo-pacifique marquée par la montée rapide des tensions ».

« Ce qui importe, dans cette affaire, ce sont les intérêts de la France, notamment dans cette région. Notre mission d’information, qui sera comme toujours représentative de tous les groupes politiques composant le Sénat, devra analyser avec lucidité la nouvelle donne dans la région », a conclu Christian Cambon.

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