Le Premier ministre malien accuse la France d’avoir créé une « enclave » aux mains de groupes armés à Kidal
Fin septembre, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le chef du gouvernement malien de transition, Choguel Kokalla Maïga, s’en était pris vivement à la France pour la réorganisation annoncée de son dispositif militaire au Sahel.
« La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », avait en effet déclaré M. Maïga, en faisant une allusion voilée à la société militaire privée [SMP] russe Wagner, dont les autorités maliennes étaient alors soupçonnées de vouloir s’attacher ses services.
La réaction de Paris ne se fit pas attendre. Ainsi, la ministre des Armées, Florence Parly, dénonça les propos du Premier ministre malien en disant y voir « beaucoup d’hypocrisie, beaucoup de mauvaise foi, beaucoup d’indécence ». Puis le président Macron les qualifia « d’inacceptables ». Et d’insister : « Alors que hier nous avons présidé à l’hommage national au sergent Maxime Blasco [tué le 24 septembre au Mali, ndlr], c’est inadmissible. C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement ».
En retour, le ministère malien des Affaires étrangères convoqua l’ambassadeur de France au Mali pour lui faire par de son « mécontentement » et de son « indignation » après les propors jugés « inamicaux » et « désobligeants » tenus par M. Macron.
On en était là quand, le 7 octobre, M. Maïga a tenté d’arrondir les angles. « Il peut y avoir au niveau des autorités françaises, des approches qui ne sont pas les mêmes que celles du gouvernement malien. Ce qui est tout à faire normal. Mais il est hors de question d’imaginer que le peuple malien nourrit un sentiment anti-français », a-t-il déclaré à l’antenne de RTL.
« Il y a beaucoup de jeunes maliens qui portent le nom de Damien Boiteux [le premier militaire français mort au combat lors de l’opération Serval, ndlr], qui portent le nom de François Hollande. C’est un honneur en Afrique quand vous donnez le nom de quelqu’un à votre enfant. Et ça, c’est dans la mémoire collective et ça ne disparaîtra jamais », a continué le Premier ministre malien.
« Maintenant, il y a des questions de fond auxquelles il faut chercher des réponses de façon calme, sans jeter l’anathème sur les autorités maliennes », a ensuite conclu M. Maïga.
Chercher des réponses à des questions de fond de façon calme? Après avoir tenu ces propos, le chef du gouvernement de transition malien a remis une pièce dans la machine avec une autre déclaration faite à l’agence de presse russe Ria Novosti. Et, plus de 48 heures après que sa teneur en a été révélée, celle-ci n’a pas donné lieu à un démenti de la part de Bamako, si suscité de réaction publique à Paris.
« Vous savez, les terroristes d’abord sont venus de Libye. Qui a détruit l’État libyen? C’est le gouvernement français avec ses alliés », a commencé par rappeler M. Maïga, avant de dénoncer la situation à Kidal [nord du Mali] où la rébellion touarègue reste influente.
« Arrivée à Kidal, la France a interdit à l’armée malienne d’[y] entrer. Elle a créé une enclave », a-t-il affirmé.
Puis, selon la retransciption de ses propos faite par Ria Novosti, il a accusé les forces françaises d’avoir « pris » deux cadres de l’organisation jihadiste Ansar Dine et d’être allées « chercher des dirigeants » du Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA, organisation indépendantiste touarègue, ndlr] afin de former une « autre organisation » afin de lui remettre les clés de Kidal.
« Le gouvernement malien jusqu’à présent n’a pas son autorité sur la région de Kidal. Or, c’est la France qui a créé cette enclave, une zone de groupes armés qui sont entraînés par les officiers français. Nous en avons les preuves », a ensuite accusé M. Maïga.
Évidemment, les propos de ce dernier ont été abondamment repris par la suite, d’ailleurs souvent de manière déformée [les « groupes armés » devenant des « groupes terroristes », sous la plume de certains, comme ici ou là]. Et le tout sans la moindre mention aux accords de paix d’Alger, signés en 2015 par la Coordination des mouvements de l’Azawad [CMA], dont le fief est à Kidal, la « Plateforme » [alors alliée au gouverment malien] et Bamako. Or, la mise en oeuvre des dispositions prévues par ce texte a toujours tardé à se concrétiser.
Choguel parle de 'groupes armés' et non de groupe terroriste. Bravo pour la retranscription, Sputnik, on vous sent totalement candides sur l'affaire. Ensuite, s'il parle de la cellule anti-terroriste du MNLA, tout le monde est au courant et tout le monde sait comment ça a fini https://t.co/5EQTbOv0Oy
— Yvan Guichaoua (@YGuichaoua) October 9, 2021
« L’État malien et la CMA ont aussi intérêt à conserver le statu quo actuel : la CMA jouit déjà de facto d’une très large autonomie dans ses zones d’influence du Nord Mali, alors qu’une grande partie de ses cadres occupe des fonctions rémunératrices au sein des instances qui accompagnent la mise en œuvre de l’accord, comme le CSA [comité de suivi des accords, ndlr] et les autorités intérimaires. Parallèlement, ce statu quo permet à l’État malien de retarder la mise en œuvre des dispositions délicates de l’accord de 2015, notamment celles qui impliquent une révision constitutionnelle », notait, en 2020, l’International Crisis Group.
Un constat partagé par Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali. Après l’opération Serval, « la France a cru […] distinguer des bons et des mauvais groupes armés. Certains étaient perçus comme politiques et d’autres étaient perçus comme terroristes. Et l’armée française est allée rechercher ce groupe – c’était le MNLA à l’époque –, ces séparatistes touaregs, d’une tribu particulière qui était minoritaire au sein même des Touaregs, les Ifoghas. Ce groupe, on est allé le chercher et on lui a donné la ville de Kidal. Et ensuite, ultérieurement, il y a eu les accords d’Alger, qui mettent sur une sorte de piédestal ces séparatistes, à égalité en quelque sorte avec l’État. Cela, c’est une erreur importante », avait-il expliqué à RFI, en 2019.
Ainsi, les forces françaises encouragèrent effectivement la formation d’une cellule anti-terroriste au sein du MNLA, commandée par Mohamed Ag Najim, le chef militaire du groupe armé touareg. Mais l’expérience tourna court.
Cela étant, en 2020, un bataillon des Forces armées maliennes [FAMa] a été déployé à Kidal… Mais il n’y a jamais patrouillé et l’une de ses compagnie a même été « renvoyée » à Gao par la CMA, « mécontente de l’absence de partage du commandement », écrit l’International Crisis Group.
Quoi qu’il en soit, en septembre dernier, la force Barkhane a été mobilisée pour assurer le transport entre Gao et Menaka d’une centaine de soldats maliens, issus du processus DDR [Désarmement – Démobilisation – Réintégration], prévue par les accords d’Alger.
« Ces militaires maliens issus à parité des FAMa et des groupes armés signataires [Coordination des mouvements de l’Azawad et Plateforme constitueront le nouveau 11e Régiment d’infanterie motorisée [RIM] de Ménaka », avait expliqué l’État-major des armées [EMA]. Deux autres unités, calquées sur le même modèle, ont été déployées à Tombouctou [51e RIM] et à… Kidal [72e RIM]. « Elles ont pour mission de contribuer à la sécurité des populations dans leur zone d’action respectives », avait-il précisé.
Photo : opération Barkhane – État-major des armées