La Gendarmerie se prépare à « tenir l’aéroport » de Nouméa en cas de troubles après le référendum
L’éventualité de voir la Nouvelle-Calédonie de tomber sous l’influence chinoise en cas de victoire des indépendantistes lors du troisième – et dernier – référendum prévu par l’accord de Nouméa [signé en 1998] a-t-elle pesé dans la décision de l’Australie de nouer une alliance stratégique avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, aux dépens de la France?
Cette question a été posée par les sénateurs Christian Cambon et Cédric Perrin, lors d’une récente audition de Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, au sujet de l’annulation par Canberra du projet d’acquérir 12 sous-marins océaniques à propulsion classique auprès de la France.
« Ne pensez-vous pas que l’absence d’un engagement ferme de l’exécutif en faveur d’une Nouvelle-Calédonie française a largement contribué à envoyer des signaux de désengagement de l’Etat français à nos partenaires australiens? », a ainsi demandé M. Perrin au ministre. « Cette affaire interpelle l’Australie. Ils se disent ‘voilà un pays qui ne se soucie pas beaucoup de l’avenir d’un de ses territoires qui est [près] de chez nous' », avait auparavant relévé M. Cambon.
À cette question, Sébastien Lecornu, le ministre des Outre-Mer, y a répondu par un autre.
Avec le dossier des sous-marins, « on voit bien que la vraie question est cette balance entre la Chine d’un côté et l’Occident tout entier de l’autre côté que va traverser profondément la société calédonienne », avait commencé par souligner M. Lecornu, lors d’une séance au Sénat, quelques jours plus tôt. Aussi, avait-il continué, « la vraie question maintenant, elle se pose le 12 décembre prochain : est-ce que les Calédoniens affrontent cette question dans la République ou seuls? »
Lors des deux premiers référendums, les Néo-Calédoniens ont affirmé leur attachement à la France à 56,7% en novembre 2018, puis à 53,3% en octobre 2020. Qu’en sera-t-il en décembre prochain, alors que la Chine est soupçonnée d’apporter son appui aux indépendantistes et de chercher à influencer le scrutin?
« Il est dans l’intérêt de Pékin d’encourager des mouvements indépendantistes, pour récupérer des parts de marché ou fragiliser de potentiels adversaires. [Or], s’il y a eu des soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et si Pékin suit de près la progression du camp indépendantiste confirmée par le référendum de 2020, c’est parce qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise et présenterait au moins deux intérêts majeurs pour le Parti-État », a ainsi souligné un récent rapport sur les opérations d’influence chinoises, publié par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM].
En attendant, la Gendarmerie nationale se prépare à toutes les éventualités. Lors des deux premières consultations, elle avait envoyé 12 escadrons de gendarmes mobiles en Nouvelle-Calédonie. Pour celle de décembre, elle planifie un engagement plus important, avec des réserves pouvant être mobilisées si jamais un rapide besoin de montée en puissance se fait sentir. C’est en effet ce qu’a confié son directeur [DGGN], le général Christian Rodriguez, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 6 octobre.
« Sur la Nouvelle-Calédonie, on a planifié notre engagement avec les armées, la police et la sécurité civile. On avait engagé 12 escadrons lors des précédents référendums. Et là, on montera à 15 escadrons », a ainsi indiqué le général Rodriguez.
« Si tout est nominal […], 15 escadrons, ça permet de s’assurer que tout se passera bien dans les bureaux [de vote] où les gens de déplaceront et de couvrir le territoire », a enchaîné le DGGN.
Cela étant, pourquoi déployer trois escadrons de gendarmerie mobile [EGM] supplémentaires par rapport aux deux premiers référendums? « Parce que je pense qu’on a intérêt à tenir l’aéroport si jamais il y a des troubles importants », a répondu le général Rodriguez. « J’ai une déformation professionnelle. Je suis d’une génération qui a connu la Nouvelle Calédonie en ambiance très tendue. Donc, j’ai tendance à plutôt dire ‘soyons prévoyants’. Donc, il faut tenir l’aéroport car sans aéroport, on ne pose plus rien là-bas », a-t-il ensuite expliqué.
Mais il est possible que la gendarmerie aille au-delà de ces 15 EGM. « S’il faut monter davantage en puissance, on a planifié une capacité très supérieure », a indiqué le général Rodriguez, sans toutefois donner plus de détails. « Tout a été fait de manière ‘carrée’. On a été aidé pour ça par les armées. Et les armées elle-même se sont mises en situation d’augmenter les moyens. On aura ce qu’il faut comme moyens, on a des gens préparés », a-t-il continué.
Le coût de cette « projection » en Nouvelle Calédonie est pour le moment estimé à 40 millions d’euros. Une somme qui ne sera pas prise en charge par la Gendarmerie nationale mais sans doute par un financement inteministériel. Ce montant est par ailleurs susceptible d’évoluer. « Cela va dépendre aussi de ce qu’on va projeter », a conlu le général Rodriguez.
Photo : Gendarmerie nationale en Nouvelle Calédonie