Civils de la Défense : La Cour des comptes s’attaque à nouveau au statut des ouvriers de l’État

Créé en 1897 afin notamment de fidéliser la main d’oeuvre civile au sein des arsenaux de la Marine, le corps des ouvriers de l’État regroupe des agents publics qui, s’ils n’ont pas le statut de fonctionnaire, bénéficient d’un régime de rémunération de retraite propres qui leur est propre. Recrutés localement, ils ont surtout employés par le ministère des Armées dans des domaines de pointe.

Ces dernières années, le nombre d’ouvriers de l’État n’a cessé de diminuer. En 2009, sous l’effet de la « Révision générale des politiques publiques » [RGPP], qui prévoyait la suppression de 50’000 postes au sein du ministère des Armées, le recrutement des ouvriers d’État avait été soumis à un moratoire. Et, en 2012, on en comptait plus que 26’000 [contre 31’000 trois ans plus tôt]. Mais, pour la Cour des comptes, il fallait aller encore plus loin en mettant un terme à ce statut, considéré comme étant « avantageux » et utilisé de manière « excessive ».

« Les besoins en compétences étant satisfaits jusqu’à présent, aucun enjeu de politique de défense ne nécessitait de recourir à nouveau au recrutement d’ouvriers de l’État et ce d’autant plus que les travaux en cours au ministère de la fonction publique, visant à conforter 1’expérimentation du recrutement de contractuels en leur offrant un déroulement de carrière, pourraient prévenir 1’éventuelle volatilité de ces personnels », avaient en effet estimé les magistrats de la rue Cambon.

Seulement, la majorité ayant changé en 2012, le nouveau gouvernement n’alla pas dans le sens de la Cour des comptes, estimant que certains domaines critiques pour les armées exigeaient le maintien de ce statut afin de contrer la concurrence du secteur privé, en particulier pour les métiers ayant trait au maintien en condition opérationnelle [MCO].

« Le recrutement de fonctionnaires dans ces spécialités se heurte à la faible attractivité du statut proposé d’agent technique du ministère de la Défense en raison de la concurrence du secteur privé dans ces mêmes domaines », fit valoir Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre.

Cependant, un décret signé en 2016 limita le nombre de spécialités ouvertes à un recrutement d’ouvrier d’État au sein du ministère des Armées. Spécalités classées selon sept catégories : aéronautique, pyrotechnie, mécanique, électro-technique, optronique, logistique et sécurité.

Et si, chaque année, 300 à 400 postes sont ouverts au recrutement, le ministère des Armées ne comptait plus que 13’533 ouvriers d’État au 1er janvier 2020.

« Entre 2015 et 2020, les effectifs d’ouvriers de l’État relevant du budget opérationnel du service des ressources humaines civiles ont diminué de près de 4’100 équivalents temps plein [ETPE]. En 2021, la déflation d’ouvriers de l’État est évaluée par la DRH-MD à 700 ETPE. Cette diminution des effectifs est liée à deux facteurs : d’une part, au vieillissement de la population et, d’autre part, à des recrutements intervenant dans les seules branches et professions autorisées au recrutement d’ouvriers par le décret n° 2016-1993 du […] qui a permis 300 recrutements en moyenne par an depuis 2015. Ces recrutements sont orientés vers les compétences prioritaires liées au maintien en condition opérationnelle des matériels militaires », ont récemment souligné les députés Jean-Charles Larsonneur et Alexis Corbière, dans un rapport sur le personnel civil de la Défense.

Ces derniers avaient également souligné que la rémunération des ouvriers de l’État restait « attractive ». Et de préciser que « les recrutements s’effectuent à un niveau de rémunération correspondant à un montant brut indicatif de 1’975,25 euros. L’évolution de cette rémunération est fonction de leur niveau de qualification et la progression d’un groupe de rémunération à un autre suppose que l’ouvrier de l’État acquière une qualification nouvelle, ce que l’employeur vérifie en lui faisant passer un essai professionnel ».

Mais la Cour des comptes est revenu à la charge contre le statut d’ouvrier de l’État, dans un référé publié le 8 septembre.

« Ce statut reste coûteux et le taux d’absentéisme des ouvriers demeure élevé. Bien que le volume des recrutements ait été limité à un peu plus de 400 ouvriers en 2017 et 2018, cette relance du flux entrant reconstitue un vivier d’agents dont la seconde partie de carrière risque d’être une difficulté, en raison par exemple de grilles médicales qui les empêchent de continuer à exercer des fonctions de MCO. On relève d’ailleurs que 63 % des ouvriers occupaient en 2018 des fonctions correspondant à des branches professionnelles n’ouvrant plus droit à recrutement, à la suite de reclassements professionnels de seconde partie de carrière », a ainsi fait valoir la Cour des comptes.

Et celle-ci d’ajouter : « La voie des recrutements spécifiques sur contrat, qui avait été expérimentée avant la réouverture des recrutements ouvriers, a été abandonnée trop vite alors même qu’aujourd’hui de nouvelles dispositions législatives prévues par la loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique permettent un recours plus aisé aux contrats. Pour certaines fonctions, comme la logistique, le recours à l’externalisation peut aussi être envisagé, comme cela se pratique d’ores et déjà dans des ateliers industriels de l’aéronautique ».

En conséquence, elle recommande donc d' »utiliser les possibilités de recrutement de contractuels sur des métiers de haute technicité » et de « cesser les recrutements d’ouvriers de l’État ».

Pour le moment, le Premier ministre, Jean Castex, n’a pas répondu aux observations et aux recommandations de la Cour des comptes. En revanche, MM. Corbière et Larsonneur avaient anticipé cette nouvelle charge contre le statut d’ouvrier de l’État.

« Les ouvriers de l’État demeurent une catégorie de personnels civils indispensable dans certains métiers techniquement pointus au ministère des Armées – indispensables car on ne peut pas remplacer ces personnels par des fonctionnaires de catégorie C. Le maintien en condition opérationnelle […], en particulier, suppose que le ministère des Armées dispose, dans certains secteurs, de personnels ouvriers maîtrisant des compétences spécialisées à forte technicité dans le domaine industriel. Le statut d’ouvrier de l’État garantit à l’ensemble des services du ministère des Armées le maintien d’un niveau de qualification tout au long de la vie professionnelle des agents », avaient en effet souligné les deux députés.

Ainsi, les ouvriers de l’État constituent 16% de l’effectif de la Direction générale de l’armement [DGA], où ils sont « essentiellement employé dans des fonctions d’opérateurs d’essais ». Et la majeure partie de ceux recrutés lors des cinq dernières années « relèvent des filières de la pyrotechnie, des plateformes et systèmes aéronautiques, des matériaux, ateliers et bureaux d’études et, enfin, de la filière des armes et munitions », selon MM. Larsonneur et Corbière.

« L’armée de Terre recrute essentiellement des ouvriers de l’État dans les métiers de la mécanique au sein du maintien en condition opérationnelle terrestre. Dans ces métiers, les armées sont soumises à une concurrence forte avec le secteur privé – très attractif en matière de rémunération dans des domaines concurrentiels et dans des bassins d’emploi où il est difficile de recruter », ont également rappelé ces deux parlementaires.

Aussi, « face aux nombreuses mises en cause dont fait l’objet cette catégorie de personnels », ils ont exprimé leur « attachement au maintien de celle-ci », estimant que la « liste de 21 métiers aujourd’hui en vigueur est assez complète, à l’exception peut-être du métier de technicien de la logistique et des chaînes d’approvisionnement qui, dans les secteurs non encore couverts par le décret de 2016 et requérant une compétence technique pointue, pourrait utilement être ajouté ».

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