Les ministres de la Défense de l’UE se penchent sur la création d’une nouvelle force de réaction rapide européenne

Plusieurs pays européens auraient souhaité aller poursuivre leurs opérations d’évacuation de leurs ressortissants et des civils afghans susceptibles d’être menacés par les talibans au-delà du 31 août, date à laquelle le dernier soldat américain devait avoir quitté l’Afghanistan. Seulement, les États-Unis ne leur ont pas donné satisfaction. Et comme ceux-ci comptaient le plus de militaires à l’aéroport de Kaboul, leur décision s’est donc appliquée à tout le monde.

Aussi, et alors que les pays européens ont donné le sentiment d’avoir agi en ordre dispersé à Kaboul, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, estime que le temps est venu de mettre sur pied une « force de réaction rapide européenne permanente », capable, avec 5’000 soldats, d’agir en cas d’urgence.

L’Union européenne « doit pouvoir intervenir pour protéger nos intérêts lorsque les Américains ne veulent pas être impliqués », a-t-il récemment fait valoir auprès du quotidien italien « Corriere Della Serra ». Une idée qu’il a de nouveau défendue dans une tribune publiée par le New York Times. « Aider à sécuriser un aéroport dans des circonstances difficiles, comme à Kaboul, pourrait être le type d’opération que nous visons à l’avenir », a écrit M. Borrell.

Le projet de doter l’UE d’une force de réaction rapide a été avancé en mai dernier, par 14 pays membres, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Grèce, Chypre, la République tchèque, le Portugal, l’Irlande et la Slovénie. Et il a été évoqué lors d’une réunion informelle des ministres de la Défense des 27, au château de Brdo [nord de la Slovénie], les 1er et 2 septembre.

Cela étant, il existe déjà des « groupements tactiques de l’Union européenne » [GTUE], devant être capables de se déployer dans un délai de 10 jours, pour une période de 30 à 120 jours. Créées en 2007, ces unités n’ont jamais été sollicitées, faute de consensus politique entre les États membres. Il serait aussi possible de s’appuyer sur le Corps de réaction rapide européen [CRR-E, ou Eurocorps], qui, réunissant cinq nations cadres [France, Allemagne, Belgique, Espagne et Luxembourg], peut être mis au service de l’UE et de l’Otan.

Par ailleurs, dans le cadre de leurs relations bilatérales, la France et le Royaume-Uni ont créé la « Combined joint expeditionary force » [CJEF], pouvant mobiliser jusqu’à 10’000 hommes à court préavis, pour répondre à ses situations d’urgence. Déclarée pleinement opérationnelle en novembre 2020, elle peut être sollicitée pour des opérations de l’Otan, des Nations unies et… de l’Union européenne.

Mais en Slovénie, et après « l’échec » des GTUE, M. Borrell a dit vouloir « quelque chose de plus opérationnel », selon des propos rapportés par l’AFP. « L’Afghanistan a démontré que nos déficiences en matière d’autonomie stratégique ont un coût et que la seule manière de progresser est de combiner nos forces et de renforcer non seulement nos capacités mais aussi notre volonté d’agir », a-t-il fait valoir.

« Si nous voulons être en mesure d’agir de façon autonome et ne pas être dépendants de choix faits par d’autres, fussent-ils nos amis et alliés, alors nous devons développer nos propres capacités », a-t-il continué, insistant sur le fait qu’il n’y avait « pas d’alternative ». Ce qui, avec l’application de la directive sur le temps de travail aux militaires [pour les missions non-opérationnelles, nldr] et le projet de « taxonomie » porté par le Commission, lequel risque de rendre plus difficile le financement des entreprises eurpéennes du secteur de l’armement, sonne comme un voeu pieu.

En tout cas, Florence Parly, la ministre française des Armées, partage l’avis de M. Borrell. En effet, selon elle, la crise afghane « a montré que l’Union doit accélérer le développement de capacités d’analyse, d’anticipation et d’action autonomes afin d’être en mesure à l’avenir de défendre pleinement ses intérêts, et en particulier de prévenir la résurgence du terrorisme jihadiste ».

Le problème est de pouvoir mettre d’accord 27 pays aux objectifs et intérêts divergents… et aux capacités militaires inégales. En outre, qui dit force de réaction rapide suppose une certaine célérité pour décider de la déployer… Et cela alors que chaque État membres a un processus de décision qui lui est propre.

D’où la proposition du ministre slovène de la Défense, Matej Tonin, dont le pays assure actuellement la présidence de l’UE. Celui a émis l’idée de créer un système permettant de mobiliser des troupes de « pays volontaires », qui agiraient ainsi au nom des 27, à la condition d’avoir le feu vert d’une majorité des États membres.

Ce que permet, déjà, le traité de l’Union européenne, comme l’a rappelé Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre allemande de la Défense. En effet, l’article 44 de ce texte précise que « le Conseil peut confier la mise en œuvre d’une mission à un groupe d’États membres qui le souhaitent et disposent des capacités nécessaires pour une telle mission. Ces États membres, en association avec le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conviennent entre eux de la gestion de la mission ».

Seraient concernées, selon l’article 43, « les missions humanitaires et d’évacuation, de conseil et d’assistance en matière militaire, de prévention des conflits et de maintien de la paix » ainsi que les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits ».

Cependant, Mme Kramp-Karrenbauer a estimé que, si les Européens doivent effectivement « être en mesure d’agir de manière plus autonomes », il est aussi « très important » qu’ils n’agissent « pas comme une alternative à l’Otan et aux États-Unis ».

D’autant plus que l’Otan, jusqu’alors engagée en Afghanistan via la mission Resolute Support, dipose déjà d’une unité de réaction « très rapide », avec la « force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation » [VJTF – Very High Readiness Joint Task Force], forte de 5’000 hommes.

Sur ce point, et s’il a estimé qu’une « Europe plus forte et plus prête à agir » est dans « l’intérêt » des États-Unis, le porte-parole de la diplomatie américain, Ned Price, a appelé l’UE à se coordonner avec l’Otan pour « éviter les doublons et ne pas gaspiller des ressources déjà rares ».

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]