Un officier de l’US Marine Corps relevé de ses fonctions pour avoir critiqué ses chefs au sujet de l’Afghanistan

Chef d’un bataillon de la « School of Infantry East » de l’US Marine Corps depuis juin 2021, le lieutenant-colonel Stuart Scheller a entamé sa carrière militaire au sein de l’unité qui était chargée d’assurer la sécurité du périmètre de l’aéroport de Kaboul quand un jihadiste de la branche afghano-pakistanise de l’État islamique [EI-K] s’est fait exploser parmi les civils afghans qui espéraient quitter leur pays après la prise de pouvoir des talibans.

Cette attaque, qui a coûté la vie à 13 militaires américains, dont un marine qu’il connaissait personnellement, a fait sortir cet officier de ses gonds. Dans une vidéo qui, publiée sur les réseaux sociaux, est rapidement virale, le lieutenant-colonel Scheller a critiqué sa hiérarchie, tant civile que militaire, sur sa gestion du retrait d’Afghanistan. Et d’aller jusqu’à exiger des comptes.

« Je fais [cette vidéo] parce que je ressens un mécontentement et un mépris croissant pour l’incompétence que je perçois en matière de politique étrangère et je veux notamment poser quelques questions à certains de mes hauts dirigeants », a commencé par dire le lieutenant-colonel Scheller.

Puis il a répondu au général David Berger, le commandant de l’US Marine Corps, qui, quelques jours plus tôt, avait publié une « lettre » pour répondre aux Marines qui pouvaient se demander si leur engagement en Afghanistan en avait « valu la peine » au regard de l’évolution du pays. « Les gens sont contrariés parce que leurs hauts dirigeants les ont laissés tomber et qu’aucun d’entre eux […] n’accepte la responsabilité de ce gâchis », a lancé le lieutenant-colonel Scheller.

« Nous avons un secrétaire à la Défense qui a déclaré, au Congrès, en mai, que les forces de sécurité afghanes pourraient résister à l’avancée des talibans. Nous avons des chefs d’état-major qui sont censés donner des conseils sur la politique militaire », a-t-il poursuivi.

« Je ne dis pas que nous devons rester en Afghanistan pour toujours. Mais je demande : est-ce que l’un d’entre vous a-t-il mis ses galons sur la table en disant ‘hé, c’est une mauvaise idée de se retirer de l’aérodrome de Bagram, une base aérienne stratégique, avant d’avoir évacué tout le monde’? Est-ce que quelqu’un a fait ça? Et même si personne n’a pas pensé à le faire, aucun n’a levé la main et dit : « on a complétement foiré », s’est ensuite emporté le lieutenant-colonel Scheller.

Cela étant, le maintien des forces américaines sur la base de Bagram jusqu’au 31 août, date fixée par le président Biden pour leur retrait d’Afghanistan, aurait-il changé le cours des choses? Peut-être, si cela avait permis de continuer à apporter un soutien aérien aux forces afghanes…

En tout cas, la décision d’évacuer cette base en catimini a été critiquée non seulement par des militaires américains mais aussi par des parlementaires. Un responsable du Pentagone, rapporte Reuters, a fait valoir qu’il aurait fallu environ 8’000 soldats américains pour sécuriser l’emprise de Bagram qui aurait été « probablement attaquée » à un moment ou à un autre par les talibans. Et, étant donnée qu’elle est située à 40 km de Kaboul, les opérations d’évacuation n’auraient pas été rendues plus faciles.

Dans sa vidéo de 4 minutes, le lieutenant-colonel Scheller n’a pas le bilan des vingts années d’engagement militaire en Afghanistan, ni celui des erreurs d’appréciation commises…

En tout cas, se faisant le porte-parole de ses camarades qui se demandent si des vies ont été perdues en vain, il a affirmé que, de son point de vue, ce serait effecivement le cas « si nous n’avons pas de hauts dirigeants qui admettent » leurs fautes. Faute de quoi, les mêmes erreurs se reproduiront à l’avenir.

En postant cette vidéo, « je suis prêt à risquer mon poste actuel de commandant de bataillon, ma retraite et la stabilité de ma famille pour dire certaines des choses qui me tiennent à coeur. Je pense que cela me donne un certain crédit moral pour exiger la même honnêteté, intégrité et responsabilité de la part de mes hauts dirigeants », a fait valoir l’officier. « Je demande des comptes », a-t-il conclu.

Le lieutenant-colonel Scheller connaissait les risques auxquels il allait s’exposer en agissant de la sorte [comme celui de perdre le bénéfice de sa retraite puisqu’il ne totalise pas encore 20 ans de service, ndlr] Et la réaction de sa hiérarchie n’aura pas tardé, d’autant plus que sa vidéo a été vue 475’000 fois sur Facebook, généré 38’000 mentions positives [24’000 « j’aime » et 14’000 « j’adore »] et généré près de 6’000 commentaires en un rien de temps.

Aussi, quelques heures plus tard, le porte-parole de l’USMC, le commandant Jim Stenger, a confirmé auprès de la presse que le lieutenant-colonel Scheller venait d’être « relevé de son commandement […] en raison d’une perte de confiance dans sa capacité à commander ». Et d’ajouter : « C’est évidemment une période éprouvante pour beaucoup de Marines, et nous encourageons tous ceux qui ont du mal en ce moment à demander des conseils ou à parler à un autre Marine ».

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