Dans l’éventualité d’un affrontement dans le Pacifique, le Pentagone s’intéresse de nouveau aux Ekranoplans

Quand un aéronef vole à très basse altitude, la pente de portance augmente légèrement, ce qui réduit la force induite qui s’oppose au mouvement dans un corps dans l’air. Appelé « effet de sol », ce phénomène aérodynamique, qui permet d’économiser du carburant et/ou d’augmenter sensiblement la masse de l’appareil, est la base de l’Ekranoplan, une sorte d’hydravion imaginée durant la Guerre Froide par l’ingénieur soviétique Rotislav Alekseiev.

Ainsi, dans les années 1960, celui développé le KM, un appareil surnommé le « monstre de la Caspienne » en raison de ses dimensions imposantes. D’une masse de 550 tonnes pour une longueur de 100 mètres, doté de dix réacteurs, il pouvait voler à une altitude comprise entre 3 et 14 mètres, à la vitesse maximale de 550 km/h, avec un rayon d’action de 3’000 km.

D’autres appareils du même type furent imaginés par la suite, notamment pour les besoins de la marine soviétique. Ainsi, l’A-90 « Orlyonok », d’une masse de 125 tonnes pour une longueur de 58 mètres, devait servir à mener des missions d’assaut. Mais seulement cinq unités furent assemblées, sur les 120 prévues initialement. Plus tard, le MD-160 « Lun » [74 mètres de long et doté par 8 turboréacteurs Kuznetsov NK-87 de 10 tonnes de poussée unitaire chacun] ne fut pas plus heureux. Développé pour la lutter anti-navire et la guerre électronique, il ne fut construit qu’à un seul exemplaire.

À l’époque, de tels appareils pouvaient inquiéter les planificateurs de l’Otan. Pouvant voler en-deçà de la couverture radar – ce qui les rendait par conséquent très difficile à repérer – il étaient susceptibles de donner la marine russe la capacité de déployer rapidement des troupes dans une zone d’intérêt.

Après la fin de la Guerre Froide, l’intérêt pour l’Ekranoplan ne fut plus aussi vif que par le passé… Mais il revient à la mode, si l’on peut dire, depuis quelques années. Ainsi, en 2015, il a été avancé que la Russie développait un appareil de ce type, à savoir le A-050 « Chaika », officiellement pour une usage civil. Puis, trois ans plus tard, le vice-ministre russe de la Défense confia à l’agence Tass que le projet d’un appareil à effet de sol, appelé « Orlan », venait de démarrer dans le cadre du programme d’armement de l’État pour 2018-27.

En Iran, les Gardiens de la révolution utilisent le HESA Bavar 2, un appareil à effet de sol aux dimensions réduites, pour patrouiller dans le golfe Persique en exploitant leur faible signature radar et leur rapidité. Cet engin est inspiré du RFB X-113, imaginé dans les années 1970 par Alexander Lippisch, un aérodynamicien allemand.

Quant aux États-Unis, le concept de l’Ekranoplan suscite de plus en plus d’intérêt. Déjà, à la fin des 1990, le Pentagone avait souhaité se doter d’un tel appareil pour des missions de transport. Un marché avait alors été confié à Boeing, qui imagina le « Pelican » ULTRA, un appareil de 152 mètres d’envergure, pouvant transporter 1270 tonnes à la vitesse de 500 km/h pour un rayon d’action de 18’000 km. Mais les crédits furent coupés au moment de lancer l’opération Iraqi Freedom en 2003.

Cela étant, avec la priorité désormais donnée à la région Indo-Pacifique, la nécessité d’évoluer en-deça de la couverture radar des moyens d’interdiction et de déni d’accès installés par Pékin en mer de Chine méridionale, et le risque que les navires chargés du transport servent de cibles à des sous-marins toujours plus nombreux, l’idée de doter les forces américains de tels appareils vient de refaire surface.

En effet, dans un avis publié le 18 août, la DARPA, l’agence du Pentagone dédiée à la recherche et au développement, a fait savoir qu’elle est intéressée par la « conception d’une nouvelle classe de véhicule » qui s’affranchirait des « principales limitations opérationnelles des plateformes de transport aérien et maritime traditionnelles. Et de préciser que, par conséquent, elle recherche des « informations susceptibles de soutenir » ses efforts sur le développement de « nouveaux hydravions et véhicules à effet de sol ».

A priori, un tel appareil ne serait pas limité aux seules missions de transport étant donné que la demande d’informations émises par la DARPA évoque la possibilité de l’utiliser pour dans la cadre du concept EBAO [Expeditionary Advanced Base Operations], les opérations maritime distribuées [DMO – Distributed Maritime Operations], la recherche et le sauvetage au combat [CSAR], les opérations amphibies et les vols sans équipage à bord.

L’idée de DARPA est de concevoir un engin qui, pouvant transporter un minimum de 100 tonnes de charges utiles, devra également avoir une capacité de vol « étendue hors effet de sol pour éviter les obstacles ».

À noter que, en France, si jamais la Marine nationale est intéressée par de tels engins, elle pourrait s’adresser à la jeune entreprise française Aqualines, basée à Bayonne. Celle-ci s’est en effet spécialisée dans le conception d’Ekranoplan. Elle propose d’ailleurs l’AQUAS, un appareil pouvant transporter 12 passagers [ou une charge de 1500 kg].

Photo : Concept du Boeing Pelican © Boeing Phantom Works

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]