Le président tchèque remet en question la légitimité de l’Otan après son échec en Afghanistan

Le 5 juillet 1963, sur l’idée que la défense de la France ne pouvait être « déléguée aux États-Unis », Alain Peyrefitte, alors ministre de l’Information, avait déclaré,  » : « Le gouvernement français n’a jamais mis en doute la résolution du président Kennedy ni celle du peuple américain d’aujourd’hui. Il s’est seulement borné à se demander : ‘Qui peut aujourd’hui assurer ce que le peuple souhaitera, ce que le successeur du successeur du président Kennedy décidera, dans quinze ou vingt-cinq ans? La France aurait bien aimé avoir les États-Unis à ses côtés en 1914 et en 1939 ».

De tels propos ne manquèrent pas de faire polémique, tant aux États-Unis qu’en… France. « Une tempête dans un verre d’eau », relativisa le général de Gaulle, selon des propos rapportés par M. Peyrefitte. « Les intérêts vitaux de l’Amérique peuvent, un jour, ne pas coïncider absolument avec les intérêts vitaux de l’Europe. Il n’y a rien là d’insultant ni d’agressif et ça a souvent été dit par d’autres. Vos propos manquent plus d’originalité que de fondement », assura-t-il à son ministre. [*]

Près de soixante ans plus tard, les mêmes interrogations se sont posées. Notamment quand le président Donald Trump critiqua l’Otan ou quand son prédécesseur, Barack Obama, avait réduit le format des forces américaines en Europe, pour mieux les redéployer dans la région Indo-Pacifique…

Et le retrait d’Afghanistan des troupes américaines [ainsi que celles de quelques autres membres de l’Otan, ndlr], avec les conséquences que l’on sait, a de quoi semer le doute parmi les alliés de Wahsington. D’autant plus que, ces dernières années, ce n’est pas la première fois que les États-Unis décident unilatéralement de laisser à leur sort des forces « amies » qu’ils soutenaient jusqu’alors. Les milices kurdes syriennes [YPG] en firent en effet les frais en octobre 2019, devant alors faire face à la Turquie, après avoir combattu et défait le califat instauré par l’État islamique [EI ou Daesh].

À l’époque, le président Macron n’avait pas hésité à parler de « mort cérébrale de l’Otan ». Autant dire que le propos avait été aussi mal accueilli que celui d’Alain Peyrefitte cinquante-six ans plus tôt. Quoi qu’il en soit, l’évolution de la situation afghane a donné lieu à des commentaires sévères à l’endroit de l’Alliance, comme ceux d’Armin Laschet, qui espère succéder à Angela Merkel, la chancelière allemande, à l’issue des élections fédérales de septembre prochain.

Le retour des talibans à Kaboul est « la plus grande débâcle que l’Otan ait subie depuis sa création et c’est un changement d’époque auquel nous sommes confrontés », a en effet estimé M. Laschet. « C’est un moment humiliant pour l’Occident », a, de son côté, déploré Mark Sedwill, un ancien représentant britannique auprès de l’Otan…

Le commentaire sans doute le plus cinglant vient de Milos Zeman, le président de la République tchèque. Certes, le parti dont il est issu [le Parti des droits civiques] n’est pas représenté au Parlement depuis les élections de 2017. Mais il n’en reste pas moins qu’il a réussi à se faire réélire en 2018…

Par ailleurs, ses prises de position sont souvent déroutantes. Qualifié par ses opposants de « marionnette » de Vladimir Poutine, son homologue russe, M. Zeman n’en défend pas moins l’adhésion de son pays à l’Union européenne et à l’Otan [dont il fut l’artisan quand il était le chef du gouvernement tchèque], même s’il se montre très critique à l’égard de ces deux organisations.

« Ces derniers mois, je me suis battu contre les idiots anti-Russes et depuis peu je dois également me battre contre les idiots anti-Américains […] Je ne suis pas d’accord pour dire que les troupes américaines constituent une armée d’occupation pour une raison simple : nous avons expérimenté l’occupation à deux reprises durant le siècle dernier et nous savons à quoi cela ressemble », dira d’ailleurs M. Zeman, à propos d’une polémique liée à un exercice de l’Otan, en 2015.

Cela étant, quand le chef de la Maison Blanche a confirmé le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, M. Zeman est monté au créneau pour dire tout le mal qu’il pensait de cette décision en la qualifiant « d’erreur à corriger » car elle allait favoriser l’implantation de cellules jiihadistes dans ce pays. À noter que, sur ce point, le gouvernement tchèque a exprimé le même point de vue…

Aussi, les derniers événements à Kaboul l’ont conforté dans son opinion… Et l’Otan en a pris pour son grade…

« La méfiance envers l’Otan d’un certain nombre de pays membres augmentera après cette expérience car ils diront : ‘si vous échouez en Afghanistan, où est la garantie que vous n’échouerez dans aucune autre situation critique », a demandé le président Zeman, dans un entretien publié par le site Parlament nilisty, le 17 août.

Et d’ajouter : « Maintenant qu’investir dans l’Otan revient en quelque sort à gaspiller de l’argent, nos dépenses de défense devraient se concentrer sur la défense nationale, sur les achats [militaires] nationaux ». En clair, il ne serait plus question pour Prague de participer à des opérations menées par l’Alliance…

Le ministre tchéque des Affaires étrangères Jakub Kulhanek, a été moins catégorique que M. Zeman. Toutefois, a-t-il dit, Prague « doit accepter la réalité » et « après la chute de Kaboul, une plus grande dose de réalisme en politique étrangère sera nécessaire ».

Pour rappel, en République tchèque, le président est le chef des armées, tandis qu’il revient au gouvernement de définir la politique de défense.

[*] C’était de Gaulle – Alain Peyreffite (Tome II]

Photo : Soldats tchèques durant un exercice de l’Otan © US Army

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