Espace : Pourquoi l’avenir de la dissuasion française est lié à la santé d’ArianeGroup

Pour la France, l’avenir d’ArianeGroup est crucial non seulement pour conserver la garantie d’un accès fiable à l’espace mais aussi pour assurer la pérennité de la composante océanique de sa dissusion nucléaire, qui repose sur le missile M51. Or, la filiale d’Airbus et de Safran connaît quelques difficultés liées aux retards dans le développement du lanceur Ariane 6 et de la concurrence, qu’elle vienne d’outre-Atlantique, avec notamment SpaceX, ou d’Europe…

Initialement, Ariane 6 aurait dû effectuer son premier vol en juillet 2020. Mais, en raison de difficultés techniques, aggravées par la pandémie de covid-19, cette échéance a été reportée au second trimestre de l’année 2022.

Pour autant, dans un marché marqué par une baisse des coûts de lancement permise par les lanceurs réutilisables de SpaceX [qui peut être d’autant plus compétitif qu’il bénéficie de contrats attribués par le gouvernement américain], Ariane 6 devra être rentable. Pour cela, il était encore récemment estimé qu’il fallait effectuer jusqu’à 12 tirs annuels. Mais encore faut-il trouver des clients…

Aussi, la semaine passée, la France et l’Allemagne ont annoncé avoir trouvé un accord pour « donner à Ariane 6 un avenir institutionnel et commercial », selon les mots de Bruno Lemaire, le ministre français de l’Économie, des Finances et de la Relance.

« Cet accord affirme la préférence européenne en matière de lancement de satellites, et il évite une guerre des lanceurs lourds entre les nations européennes. Je considère donc que c’est un excellent accord […] qui nous fait progresser sur la voie de l’indépendance stratégique en matière spatiale », a aussi expliqué M. Le Maire, se félicitant que ce texte allait « ouvrir des perspectives commerciales pour Ariane 6 » et garantir « la coopération sur les micro-lanceurs », sur lesquels mise l’Allemagne, avec pas moins de trois projets portés par des entreprises privées.

Cependant, cet accord, qui prévoit un financement supplémentaire d’Ariane 6 d’environ 140 millions d’euros par an afin de réduire le nombre de tirs nécessaires pour assurer sa rentabilité, doit encore être soumis à l’Italie, qui défend les intérêts de la famille de lanceurs Vega, et de l’Agence spatiale européenne [ESA].

Cela étant, cet accord négocié entre Paris et Berlin a été conclu grâce à une concession que le quotidien Les Échos qualifie de « ruineuse » pour la partie française. En effet, écrit-il, celle-ci concédé à son homologue allemand de transférer en Allemagne, et plus précisément à Lampoldshausen, la production de Vinci, le moteur à propulsion liquide réallumable destiné à propulser le second étage d’Ariane 6.

Une « exigence qui risque de décourager les équipes françaises d’Ariane 6, car, depuis le début des programmes Ariane, l’usine de Vernon, dans l’Eure, a toujours été le berceau des moteurs de fusées, notamment à propulsion liquide, un savoir-faire unique », estime le journal, qui cite une source syndicale selon laquelle un tel transfert équivaudrait à perdre « 40’000 heures de travail ou l’équivalent de 30 emplois à temps plein ». De quoi mettre en péril ce site, faute d’activités compensatoires.

Toutefois, en janvier dernier, il a été confirmé que le site de Vernon aurait à assurer le développement de Prometheus, le démonstrateur d’un moteur réutilisable à très bas coût [il doit dix fois moins cher que le Vulcain 2 d’Ariane 5, ndlr], appelé à équiper les lanceurs qui succéderont à Ariane 6 et à Vega-C. « Le programme France Relance prévoit aussi un investissement destiné à soutenir des projets de diversification du site vernonnais dans les technologies de l’hydrogène », avait aussi souligné ArianeGroup à l’époque.

Reste que le groupe se trouve dans un situation financière qui se dégrade, avec une baisse de son chiffre d’affaires et de son résultat opérationnel. En mars, un plan de « réorganisation », appelé SHIFT [Shaping and Inventing our Future Together], a été annoncé, avec l’objectif de supprimer 2’500 postes d’ici 2025. Ce qui est de nature à faire disparaître des compétences, comme le souligne le syndicat [majoritaire] CFE-CGC.

« Les politiques et les industriels Européens ont fini par admettre qu’il y a une concurrence ‘féroce’ pour l’accès à l’espace. Il est vrai que nos dirigeants se sont bouchés les yeux et les oreilles durant ces dix dernières années quand il aurait été encore temps d’y faire face. À présent il faut tout faire sous pression et dans une certaine précipitation. Notamment une énième réorganisation, SHIFT, assortie d’une forte baisse d’effectif […]. Cette précipitation risque de démobiliser nos forces vives, mais aussi d’entrainer la disparition de nos savoir-faire avec des départs de compétences non maîtrisés », fait valoir le syndicat, en dénonçant une stratégie d’entreprise « repliée sur elle-même » et noyée dans un « gloubi-boulga européen ».

S’agissant des savoir-faire menacé, le syndicat n’y va pas avec le dos de la cuillère.

« L’objectif de réduction des effectifs annoncé est très élevé. Aussi, même si la Direction nous présente une GPEC [gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ndlr] qui semble bâtie sur des données, de la projection et des orientations formation précises, faites par des équipes engagées et professionnelles, la fiabilité de la charge affichée et la visibilité sur les postes en doublon sont très insuffisantes », affirme le CFE-CGC.

Et d’expliquer : « Les prévisions d’ETP [équivalent temps-plein] semblent très éloignées du terrain et d’une évaluation réelle de la charge, des activités et compétences à conserver et à développer pour la survie de notre entreprise. Ces prévisions d’effectifs semblent être plus le fruit d’une règle de trois réalisée par des financiers que d’une évaluation réelle [quantitative et qualitative] du plan de charge ».

Étant son rôle de maître d’oeuvre du programme M51, qui génére 7’000 emplois [sous-traitants inclus], ce qui se passe au sein d’ArianeGroup peut évidemment avoir des répercussions sur la dissuasion française… « Sa responsabilité englobe la recherche amont, la conception, le développement et la production des missiles, de leur système sol de mise en œuvre et du système de contrôle et de commande à bord des sous-marins. ArianeGroup assure aussi le maintien en condition opérationnelle du système et son démantèlement en fin de vie », souligne l’entreprise.

Photo : DGA

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