Faute de spécialistes, la Marine pourrait se passer d’un sous-marin pour armer son futur porte-avions nucléaire
Les effets de la Révision générale des politiques publiques [RGPP], lancée au tournant des années 2010 ne sont sans doute pas près de s’estomper… notamment pour ce qui concerne les armées, lesquelles ont perdu environ 50’000 postes entre 2008 et 2014, tout en restant massivement sollicitées au niveau opérationnel.
« La marine nationale, caractérisée par ses effectifs plus limités et l’existence de nombreuses spécialités techniques [ainsi, 75 % de ses effectifs appartiennent à des spécialités qui recouvrent chacune moins de 1 % des effectifs], connait une usure de ses personnels particulièrement sensible, en raison de taux d’activité particulièrement élevés pour certaines spécialités », notait ainsi un rapport du Sénat, publié en 2019.
« Cette suractivité entraine un cercle vicieux puisqu’elle est aggravée par les départs qu’elle favorise, et nuit à la réputation de ces spécialités auprès des jeunes recrues, moins enclines à les choisir. La Marine nationale emploie en outre de nombreux techniciens qualifiés parmi ses officiers-mariniers, qui doivent maintenir leurs compétences techniques, requérant le passage régulier d’examens qualifiants, particulièrement exigeants et usants », soulignait encore ce document.
En un mot, la Marine nationale manque de marins… « Entre 1990 et aujourd’hui, elle a perdu la moitié de ses effectifs », a rappelé l’amiral Pierre Vandier, son chef d’état-major [CEMM], lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale. Conséquence : ce qu’il était encore possible de faire il y a encore 20 ans ne l’est plus de nos jours.
« Nous sommes aussi très vigilants également aux questions d’équipages. […] La mise en service d’un bateau, cela n’a rien à voir avec l’achat d’une voiture en concession, que l’on peut utiliser dans tout son spectre d’emploi après dix minutes de briefing par un vendeur. Pour une frégate, dix-huit mois avant son admission au service actif, le noyau d’équipage fait les essais à quai avec les industriels, réalise des essais de recette techniques à la mer et enfin réaliser des essais de recette militaires pendant un an pour que le bâtiment devienne une pleine capacité opérationnelle », a commencé par expliquer l’amiral Vandier aux députés.
Aussi, a-t-il continué, « pour renouveler une marine, il faut faut disposer d’un volant de personnels permettant d’armer de nouveaux bateaux sans avoir à désarmer les anciens ». Et c’est d’ailleurs ainsi que le porte-avions Charles de Gaulle a pu être mis en service.
« On a pu armer le Charles-de-Gaulle parce qu’on avait désarmé le Clemenceau. […] Les deux bateaux étaient amarrés l’un derrière l’autre à Brest et on a quasiment transféré physiquement la moitié de l’équipage du Clemenceau sur le Charles-de-Gaulle », s’est souvenu le CEMM. Mais « malheureusement, nous n’avons plus les moyens de faire ‘la banque RH’ [ressources humaines, ndlr]. »
Et donc, ce qui a pu être fait en 2000 ne pourra pas, en l’état actuel de la situation, se reproduire pour l’armement du porte-avions de nouvelle génération [PA NG].
« Nous n’avons plus les ressources humaines en propre permettant d’avoir des marins pour armer le noyau d’équipage du porte-avions en 2032 et atteindre 900 personnes en 2035 pour débuter les essais », a expliqué l’amiral Vandier. Aussi, il n’y a que deux solutions : « soit on désarme un sous-marin nucléaire d’attaque tout neuf pour que ses atomiciens démarrent la chaufferie nucléaire en 2034, soit on recrute et on forme le noyau d’équipage – ce qui prend environ dix ans », a-t-il dit. Ce qui fait que s’il faut recruter, il n’y a plus trop guère de temps à perdre.
« Nous avons travaillé avec l’état-major des armées pour obtenir les 100 premiers marins qui rejoindront ce noyau d’équipage. Nous en avons obtenu 30 et la cadence est de 80 par an pendant 12 ans. Tel est notre bataille pour les mois et années à venir », a confié le CEMM, qui a en outre mis en garde contre tout décalage dans le programme de porte-avions de nouvelle génération.
« Il faut être bien conscient que décaler d’un ou deux ans la date prévue d’admission au service actif du successeur du Charles-de-Gaulle, pour des raisons budgétaires, occasionnera une réduction temporaire de capacité dans ce domaine. Nous serions ainsi pendant un ou deux ans sans aucun porte-avions. La tenue du calendrier prévu pour être au rendez-vous en 2038 est donc vital », a fait valoir l’amiral Vandier.